Nouvelle découverte Neuroscience et psychologie Publié le 11 novembre 2025

Pourquoi l’esprit humain est-il semblable à un requin : tests sur l’idée de mutualisme

Résumé

Nous cherchons à comprendre pourquoi les enfants, en grandissant, présentent certaines compétences cognitives quant à la lecture, l’écriture et la résolution de problèmes. Pour ce faire, nous avons suivi des centaines d’enfants pendant plusieurs années pour voir comment les compétences comme la faculté de résoudre des problèmes et la maîtrise du vocabulaire changent avec le temps. Nous avons d’abord constaté que le fait d’avoir un bon vocabulaire permet aux enfants de s’améliorer plus rapidement dans la résolution de problèmes. Cela fonctionne également dans l’autre sens, le fait qu’ils puissent résoudre les problèmes démontre leur aptitude à apprendre rapidement de nouveaux mots. Autrement dit, chaque compétence cognitive peut participer au développement d’autres compétences cognitives. C’est ce qu’on appelle le mutualisme. Nous avons été très enthousiasmés par cette découverte, car elle peut nous aider à comprendre comment les enfants s’améliorent dans des domaines qu’ils ne pratiquent jamais directement, et comment les enseignants peuvent mieux aider les enfants qui trouvent certains sujets scolaires plus difficiles.

Ce que les animaux peuvent nous apprendre concernant notre cerveau

L’une des visions les plus étranges du monde se trouve au large des côtes australiennes : il s’agit d’un petit poisson dénommé poisson-ventouse ou rémora qui s’attache aux requins à l’aide de la ventouse située sur sa tête (Figure 1 – image avec le requin). Pourquoi le requin ne mange-t-il pas le poisson-ventouse ? Pourquoi le poisson-ventouse se rapproche-t-il du requin ? Il se trouve que les deux créatures profitent de cette situation. Le poisson-ventouse mange les parasites et la peau morte du requin, ce qui aide ce dernier à rester propre et en bonne santé. En retour, il parcourt librement les océans grâce au requin et mange les déchets laissés par celui-ci ; ce qui le protège contre les autres prédateurs qui redoutent le requin – tout le monde y gagne ! Ce phénomène au cours duquel deux espèces animales bénéficient l’une de l’autre s’appelle le mutualisme. Récemment, les scientifiques se sont appuyés sur le mutualisme pour comprendre une réalité qui, a priori, semble très différente : l’apprentissage humain.

Photographie d'un grand requin qui nage avec grâce dans l’eau bleue et limpide de l’océan, son corps fuselé et puissant. Le fond marin est faiblement visible au loin, ajoutant de la profondeur à la scène. De nombreux poissons ventouse en profitent pour voyager accrochés à ce grand requin.
  • Figure 1 - Un poisson-ventouse en train de s’appuyer sur un requin citron (source : Albert Kok, Wikimedia).

Qu’est-ce que le mutualisme ?

Chaque fois que tu essayes de résoudre un problème – à l’école ou ailleurs – tu utilises ce que les psychologues appellent les capacités cognitives. Les capacités cognitives sont des choses comme la mémoire (si tu te souviens bien des choses passées), le vocabulaire (combien de mots tu connais) et le raisonnement (tes capacités à résoudre des problèmes). Beaucoup de choses que tu fais et que tu apprends à l’école reposent sur des capacités cognitives. Le vocabulaire, par exemple, est un élément de base très important de la langue, avec d’autres compétences. Par exemple, tu utilises ton vocabulaire lorsque tu postules à un emploi, lorsque tu racontes une histoire ou lorsque tu écris un message à un ami.

Généralement, les scientifiques examinent les différentes compétences cognitives séparément de la même manière qu’on étudie plusieurs matières à l’école. Cependant, dans certaines études récentes, les scientifiques ont découvert des liens passionnants entre les capacités cognitives. Il s’avère qu’au lieu d’être des compétences totalement distinctes, tes capacités cognitives se comportent un peu comme les requins et les poissons ventouses – elles s’aident mutuellement à se développer au fil du temps. Comme tu peux le voir dans la Figure 2 (voir l’image avec les flèches disposées en cercle), ton vocabulaire n’est pas seulement utile dans l’amélioration de tes compétences linguistiques, il peut aussi aider ton raisonnement qui, à son tour, peut aider tes compétences en mathématiques, qui peuvent aider ton vocabulaire. Cette idée est appelée mutualisme des capacités cognitives [1].

Diagramme circulaire avec trois flèches colorées représentant un cycle. Une flèche verte intitulée « Vocabulaire » pointe vers une flèche bleue intitulée « Mathématiques », qui pointe vers une flèche orange intitulée « Raisonnement », complétant la boucle.
  • Figure 2 - Le mutualisme renvoie au fait que plusieurs compétences cognitives s’aident entre elles à se développer au fil du temps.
  • Reasoning = Raisonnement, Vocabulary = Vocabulaire, Mathematics = Mathématiques.

Comment tester l’idée de mutualisme ?

Pour tester l’idée du mutualisme, nous avons suivi 800 jeunes (âgés de 14 à 24 ans) dans le temps et mesuré leur vocabulaire et leur capacité de raisonnement [2]. La Figure 3 te présente ce à quoi ressemblent les tests sur le vocabulaire et le raisonnement. Dans le test sur le vocabulaire, nous avons demandé à nos jeunes de montrer un cône (parmi d’autres formes) et de donner le sens de l’adjectif « enthousiaste ». Quant au test sur le raisonnement, il s’agissait d’un puzzle à remplir (la consigne : compter les formes, de gauche à droite, dans chaque rangée). Dans notre étude, les enfants et les adolescents ont passé ces tests deux fois, à environ 1,5 an d’intervalle.

Test graphique de vocabulaire et de raisonnement. Le test de vocabulaire demande : « Que signifie « enthousiaste » ? » et « Quelle forme est appelée un cône ? » avec les formes suivantes : pentagone, cône et trapèze. Le test de raisonnement présente une grille de trois par trois avec les formes suivantes organisées ligne par ligne : cercles, triangles, carrés. La dernière case de la ligne avec des carrés est vide. En dessous se trouve la question suivante : « Lequel de ces éléments correspond à la case vide ? » avec quatre choix de réponses : carrés, cercles, triangle, cercle.
  • Figure 3 - Exemple d’un test sur le vocabulaire (vocabulary test, à gauche) et sur le raisonnement (reasoning test, à droite) utilisé pour étudier le mutualisme des compétences cognitives.
  • What does “enthuasiastic” mean ? = Que signifie « enthousiaste » ? Which shape is called a cone ? = Quelle forme est appelée « cône » ? Which one belongs in the empty square ? = Quel est le motif manquant dans la case vide ?

Nous avons constaté que les enfants et les adolescents se sont un peu améliorés en vocabulaire et en raisonnement au fil du temps, tout comme on s’améliore dans la plupart des domaines en grandissant. Ce que nous avons surtout découvert, c’est la preuve de l’existence du mutualisme des compétences cognitives. Il se trouve donc qu’avoir d’abord un bon vocabulaire favorise le raisonnement qui, à son tour, permet d’apprendre rapidement de nouveaux mots. De la même manière que le fait d’avoir un bon équilibre ou de pouvoir courir vite peut t’aider à progresser dans des sports comme le football ou le tennis, le fait d’avoir un bon vocabulaire et de pouvoir raisonner peut t’aider à développer d’autres compétences cognitives. Pour évaluer la pertinence de ce constat, nous avons testé l’idée de mutualisme chez un autre groupe – cette fois plus jeune (âgé de 6 à 8 ans). Bien sûr, et une fois de plus, nous avons constaté que les enfants présentant un raisonnement plus cohérent progressaient plus rapidement en vocabulaire et vice versa [3].

Comment le mutualisme peut-il t’aider à l’école ?

Pourquoi comprendre de l’idée de mutualisme cognitif pourrait-elle t’aider ? Eh bien, pour plusieurs raisons. En effet, le mutualisme permet de comprendre ce qui se passe lorsqu’on apprend de nouvelles choses à l’école. Deux scientifiques, Stuart Ritchie et Elliot Tucker-Drob, ont utilisé les données recueillies auprès de plus de 600 000 personnes [4] et ont remarqué que l’école nous rend meilleurs aux tests cognitifs, comme les tests de Quotient Intellectuel (QI). Cela est plutôt étonnant dans la mesure où la plupart de ces tests n’avaient jamais été directement enseignés en classe. Leurs résultats suggèrent qu’aller à l’école te rend en fait plus intelligent, même pour les choses que tu n’apprends pas directement. On peut faire le parallèle avec le mutualisme : avoir de bonnes bases favorise le développement rapide de nouvelles compétences cognitives.

La compréhension du mutualisme est également utile lorsque tu as des difficultés à l’école. Supposons que tu aies des difficultés en mathématiques et que tu ne saches pas comment t’améliorer. Selon le mutualisme, il se pourrait que l’amélioration d’une capacité cognitive (comme le vocabulaire) t’aide à améliorer d’autres capacités cognitives, y compris celles que tu trouves plus difficiles (comme les mathématiques), même si elles ne semblent pas liées. Ne baisse donc pas les bras si vite avec les maths. Travailler sur autre chose, comme la lecture, peut t’aider à progresser en maths, ce qui peut t’aider à t’améliorer en français, ce qui à son tour peut faire progresser tes notes en maths, et ainsi de suite.

D’ailleurs, une nouvelle étude démontre que le fait d’être un peu plus fort en lecture aide les enfants à améliorer leurs compétences en multiplication au fil du temps [5]. Par conséquent, le fait d’être fort dans une matière à l’école est non seulement une bonne chose en soi, mais elle t’aide également à développer d’autres compétences.

Qu’avons-nous appris concernant le cerveau humain ?

Nos recherches sur le mutualisme prouvent que le cerveau humain se comporte en quelque sorte comme le requin et le poisson-ventouse : diverses compétences cognitives comme la maîtrise du vocabulaire et la capacité à résoudre les problèmes aident d’autres compétences à se développer dans le temps. Ainsi, le mutualisme peut être perçu comme une règle générale d’apprentissage en classe et en dehors. Le mutualisme montre l’importance de créer des liens. Tes enseignants et toi pourriez trouver des liens entre différents sujets et différentes matières – quels sont les liens entre eux, et comment peux-tu utiliser ce que tu as appris en mathématiques pour comprendre la biologie ? En réfléchissant sur ces liens et en les établissant entre les matières, tu pourras obtenir de meilleurs résultats à l’école. Le mutualisme te permet même de voir ces matières différemment. Il ne s’agit pas que de travailler dur ; il faut aussi élargir autant que possible ton champ d’apprentissage. On ne connaît jamais tous les bénéfices qu’une compétence cognitive aura sur les autres.

Le mutualisme est un tout nouveau domaine de recherche, il reste encore beaucoup à apprendre. Nous cherchons encore à comprendre comment il s’opère dans les salles de classe. Nous ne savons pas si, par exemple, d’autres compétences cognitives comme la mémorisation présentent aussi des effets du mutualisme, si certains enfants le démontrent plus que les autres, comment le cerveau le gère, ni pendant combien de temps il faut s’exercer à la lecture pour qu’elle soit avantageuse pour les mathématiques. Mais nous y travaillons ; reste à l’écoute !

Glossaire

Mutualisme: Idée selon laquelle plusieurs compétences cognitives (comme la maîtrise du vocabulaire et la capacité à résoudre les problèmes) aident les autres à se développer avec le temps.

Cognitif: L’adjectif « cognitif » est employé par les scientifiques pour désigner ce qui a trait aux processus psychiques comme la réflexion, le raisonnement, la mémorisation et la faculté à résoudre les problèmes.

Vocabulaire: Renvoie au nombre de mots dont on maîtrise le sens.

Conflit d’intérêts

Les auteurs déclarent que les travaux de recherche ont été menés en l’absence de toute relation commerciale ou financière pouvant être interprétée comme un potentiel conflit d’intérêts.

Remerciements

Nous aimerions remercier Callahan Collier (âgé de 11 ans) pour son apport inestimable à la première ébauche de ce manuscrit. Nous remercions aussi tous ceux qui ont contribué à la traduction des articles de cette Collection afin de les rendre accessibles et compréhensibles aux enfants des pays non anglophones et la Fondation Jacobs pour avoir octroyé les fonds nécessaires pour cette traduction.

Déclaration d’utilisation des outils d’IA

Tout texte alternatif fourni avec les figures de cet article a été généré par Frontiers grâce à l’intelligence artificielle. Des efforts raisonnables ont été déployés pour garantir son exactitude, notamment par une relecture par les auteurs lorsque cela était possible. Si vous constatez des problémes, veuillez nous contacter.


Article Source Original

Kievit, R. A., Hofman, A. D., and Nation, K. 2019. Mutualistic coupling between vocabulary and reasoning in young children : a replication and extension of the study by Kievit et al. (2017). Psychol. Sci. 30:1245–52. doi: 10.1177/0956797619841265


Références

[1] Van Der Maas, H. L., Dolan, C. V., Grasman, R. P., Wicherts, J. M., Huizenga, H. M., and Raijmakers, M. E. 2006. A dynamical model of general intelligence: the positive manifold of intelligence by mutualism. Psychol. Rev. 113:842–61. doi: 10.1037/0033-295X.113.4.842

[2] Kievit, R. A., Lindenberger, U., Goodyer, I. M., Jones, P. B., Fonagy, P., Bullmore, E. T., et al. 2017. Mutualistic coupling between vocabulary and reasoning supports cognitive development during late adolescence and early adulthood. Psychol. Sci. 28:1419–31. doi: 10.1177/0956797617710785

[3] Kievit, R. A., Hofman, A. D., and Nation, K. 2019. Mutualistic coupling between vocabulary and reasoning in young children: a replication and extension of the study by Kievit et al. (2017). Psychol. Sci. 30:1245–52. doi: 10.1177/0956797619841265

[4] Ritchie, S. J., and Tucker-Drob, E. M. 2018. How much does education improve intelligence? A meta-analysis. Psychol. Sci. 29:1358–69. doi: 10.1177/0956797618774253

[5] Rinne, L. F., Ye, A., and Jordan, N. C. 2019. Development of arithmetic fluency: a direct effect of reading fluency? J. Educ. Psychol. 112:110–30. doi: 10.1037/edu0000362