Nouvelle découverte Biodiversité Publié le 31 décembre 2024

L’escargot affamé, le corail fragile et le gentil microbe

Résumé

Au large des côtes du Vietnam, deux évènements récents ont contribué à la disparition d’une partie des récifs coralliens : l’invasion des coraux par un petit escargot marin, Drupella, et l’émergence d’une maladie qui touche certains coraux. Nous avons décidé d’étudier le lien, s’il existe, entre les coraux, l’escargot et cette maladie. Nous avons analysé le mucus qui recouvre la surface des coraux chez ceux en bonne santé et chez ceux envahis par Drupella. Ce mucus, produit par les coraux eux-mêmes, est généralement plein de microbes utiles, protégeant les coraux des microbes nuisibles qui peuvent les rendre malades ou les tuer. Nos analyses ont montré que l’escargot, quand il mange les coraux, réduit également l’un de leurs principaux moyens de défense en éliminant la plupart des microbes protecteurs présents dans leur mucus. Cela permet aux microbes nuisibles de causer des dégâts supplémentaires chez les coraux.

Pas d’échappatoire pour les coraux

Face aux attaques de prédateurs, les animaux comme les gazelles, les lapins ou les souris peuvent s’enfuir. Pour ces animaux, la fuite est possible car ils sont mobiles. D’autres animaux sont incapables de se déplacer, ou ne peuvent se déplacer que très lentement, sur de petites distances. C’est le cas des coraux. Les coraux sont de minuscules animaux qui vivent ensemble à l’intérieur de squelettes durs qu’ils construisent. L’accumulation de ces squelettes, qui persistent après la mort des coraux, forme des structures semblables à des rochers : les récifs coralliens connus pour leur beauté, mais aussi parce qu’ils abritent des milliers d’espèces marines, notamment des poissons, des éponges, des crustacés et des «vers». Malheureusement, les récifs coralliens sont également connus pour leur fragilité et les menaces qui pèsent sur eux : le réchauffement de l’eau, les prédateurs qui les mangent, les ouragans, les dommages causés par les plongeurs et la pollution, pour n’en citer que quelques-unes. En plus de leur incapacité à fuir les dangers, les coraux ont une croissance très lente, de quelques millimètres par an. Aujourd’hui, un tiers des espèces de coraux est menacé et pourrait disparaître dans un avenir proche.

Les escargots attaquent

Certaines espèces de poissons et d’étoiles de mer adorent se nourrir de coraux ! Mais on a récemment découvert qu’un petit escargot marin Drupella, originaire des océans Indien et Pacifique, est également un prédateur féroce des coraux. Bien que lents dans leurs déplacements, ces tueurs, de plus en plus nombreux dans certaines régions du monde, peuvent décimer une partie des récifs coralliens.

Notre équipe de recherche s’est rendue dans la baie de Nha Trang au Vietnam. Là, les coraux souffraient de la présence de plus en plus importante de Drupella. En petit nombre, ces escargots ne font pas beaucoup de dégâts, mais ces dernières années, leur population a fortement augmenté. Les coraux colonisés par les escargots présentent deux caractéristiques intéressantes. Tout d’abord, après le passage de Drupella, les parties broutées restent totalement blanches et sans vie. De plus, des traces de maladies coralliennes sont visibles sur les parties des coraux que les escargots n’ont pas encore touchées (Figure 1). Le but de notre recherche était d’en savoir plus sur les liens entre les escargots et les maladies qui dévastent les coraux de Nha Trang. Nous voulions voir si les Drupella provoquaient ces maladies ou si les coraux étaient déjà malades avant l’arrivée des escargots. Nous avons donc décidé de plonger pour observer les coraux de plus près.

Figure 1 - (A) La baie de Nha Trang au Vietnam, où s’est déroulée notre étude.
  • Figure 1 - (A) La baie de Nha Trang au Vietnam, où s’est déroulée notre étude.
  • (B) Drupella mangeant des coraux: certaines parties des coraux sont déjà blanches, c’est la surface broutée par les escargots. Le gros plan montre quelques individus de Drupella rugosa (© ConserveMarine, CC BY-SA 4.0).

Le mucus corallien, une couche protectrice pleine de microbes utiles

Notre première étape a été de comprendre l’origine de la maladie des coraux. Les coraux étant incapables de se déplacer, ils sont particulièrement vulnérables aux attaques des prédateurs. Cependant, ils peuvent se défendre contre des envahisseurs microbiens, même si les microbes ne sont pas tous dangereux pour eux. Certains les aident même à rester en bonne santé ; ils sont considérés comme un élément de leur système immunitaire ! C’est dans la couche de mucus des coraux que se joue la bataille entre les microbes utiles et les microbes dangereux. Le mucus est une substance épaisse et collante que le corail produit et qui le recouvre entièrement. Cette couche de mucus contient de nombreux microbes utiles qui agissent comme des soldats, éliminant tout autre intrus microscopique capable de provoquer des maladies. Dans notre étude, nous avons voulu comprendre comment ces petits soldats réagissent lors d’une attaque d’escargots. Nous avons donc prélevé le mucus de différents coraux avec et sans Drupella, afin de les comparer.

Identification des microbes présents dans le mucus des coraux

Les microbes, en particulier les bactéries et les virus sont incroyablement petits. Pour te donner une idée de l’échelle, les bactéries sont 100 fois plus petites que la largeur d’un seul cheveu et les virus sont plus de 10 fois plus petits que les bactéries ! Il est donc impossible de voir d’aussi petits organismes à l’œil nu. Pour les observer et les identifier, nous utilisons le séquençage d’ADN. L’ADN se trouve dans les cellules de tous les organismes vivants. Il contient, sous forme de message codé, l’information qui détermine toutes les caractéristiques de chaque être vivant. Tu peux te le représenter comme un manuel d’instructions écrit avec un alphabet qui ne comporte que quatre lettres différentes ! La différence entre le manuel d’un humain et celui d’un poisson rouge, c’est l’ordre dans lequel certaines de ces lettres sont agencées. Le manuel de chaque espèce (son ADN) est unique. À l’heure actuelle, nous disposons de machines très performantes qui sont capables de déterminer l’ordre des 4 lettres dans chaque morceau d’ADN mis dans la machine. Nous avons donc extrait le plus d’ADN possible du mucus corallien afin d’identifier le maximum de microbes qui y vivent. Cet ADN a été séquencé, puis nous avons interrogé une base de données dans laquelle est référencé l’ADN de toutes les espèces connues (Figure 2) pour identifier les espèces présentes dans nos échantillons de mucus corallien.

Figure 2 - Identification des microbes du mucus des coraux.
  • Figure 2 - Identification des microbes du mucus des coraux.
  • (1) Le mucus est prélevé sur des coraux sains et sur ceux infestés par des escargots. (2) Le mucus est filtré pour recueillir tous les microbes. (3) L’ADN est extrait des microbes. (4) L’ADN microbien est placé dans de petits godets. (5) Une machine de séquençage détermine la séquence des ADN dans chacun des godets. (6) Un ordinateur analyse les données et recherche la séquence dans une bibliothèque contenant les séquences d’ADN de tous les microbes connus. (7) Cela nous indique quels microbes, utiles ou nuisibles, sont présents dans le mucus (©Elyse Boudin).

Les escargots endommagent les coraux et leur mucus

Nous avons trouvé que les bactéries et les virus dans le mucus des coraux colonisés par les escargots étaient différents de ceux dans les coraux en bonne santé, épargnés par les escargots, et ils étaient beaucoup plus nombreux. Malheureusement, en présence d’escargots, de nombreux microbes utiles avaient été remplacés par des microbes nuisibles capables de déclencher des maladies chez les coraux (Figure 3).

Figure 3 - Comparaison des coraux avec et sans l’escargot Drupella.
  • Figure 3 - Comparaison des coraux avec et sans l’escargot Drupella.
  • (A) La loupe nous montre que les coraux sains hébergent des microbes utiles (bleus) dans leur mucus, qui les protègent des microbes nuisibles (rouges). (B) Lorsque la couche de mucus est attaquée par Drupella, les microbes nuisibles se multiplient, ce qui entraîne des maladies coralliennes (©Jean Péronnin). Remarque: les bactéries (bacteria) et les virus (viruses) ne sont pas dessinés à l’échelle ; les virus sont plus de dix fois plus petits que les bactéries.

Pourquoi des microbes dangereux se développent-ils sur les coraux attaqués par les escargots ? En quoi les escargots sont-ils responsables de ce phénomène ? Nous pensons qu’en mangeant les coraux les escargots endommagent gravement leur couche de mucus et affectent les microbes utiles qui y vivent (en appauvrissant le mucus en nourriture par exemple). Ainsi, les microbes utiles ne sont plus assez nombreux pour protéger les coraux des microbes nuisibles qui peuvent alors se multiplier et rendre les coraux malades.

La morale de l’histoire

L’escargot mangeur-de-corail Drupella est naturellement présent dans les mers d’Asie du Sud-Est et sa population a énormément augmenté ces dernières années. Cette augmentation pourrait s’expliquer par la surpêche. Moins il y a de poissons et moins ils mangent de larves de Drupella qui peuvent donc se multiplier en plus grand nombre et atteindre l’âge adulte. Les Drupella adultes ont une coquille dure et ne sont absolument pas comestibles, ce qui leur permet de se développer et de se multiplier en toute tranquillité. Ainsi, la surpêche a des conséquences sur la santé des coraux ! En conclusion, nous avons constaté que les escargots, non seulement broutent la surface des coraux pour s’en nourrir, mais fragilisent les coraux, et favorisent la multiplication de microbes qui leur sont nuisibles ce qui accélère leur déclin.

Notre étude originale [1] montre l’importance du mucus des coraux et de bactéries utiles qui y vivent et qui font partie de leur système immunitaire. Les organismes microscopiques sont étudiés par de plus en plus de chercheurs, car on les trouve chez tous les animaux marins : dans leurs intestins, sur leur peau et même dans leur cerveau ! Ces microbes utiles ont de nombreux bénéfices pour leurs hôtes. C’est également le cas pour les humains. Les microbes qui vivent sur et dans notre corps jouent un rôle important pour notre santé, dans la digestion d’aliments et influencent même notre comportement. Ces microbes semblent agir comme une communauté bien organisée. Cependant, les microbes utiles sont si nombreux et divers que nous ne connaissons pas encore tous les rôles qu’ils jouent. Nous devons donc poursuivre nos recherches sur le rôle des microbes chez différentes espèces, car elles pourraient révéler encore bien des secrets susceptibles de nous aider à protéger la santé de tous les organismes, des coraux fragiles ou des humains.

Contributions à la version française

TRADUCTEUR : Catherine Braun-Breton (Association Jeunes Francophones et la Science)

ÉDITEUR : Sylvie Hurtrez (Association Jeunes Francophones et la Science)

MENTOR SCIENTIFIQUE : Ula Hibner (Association Jeunes Francophones et la Science)

JEUNE EXAMINATEUR : Charlie, 14 Ans. Charlie est franco-américaine et vit en Virginie aux Etats-Unis. Elle adore la danse, les sciences, le piano et le violoncelle.

Glossaire

Prédateurs: Organisme qui attaque un autre organisme pour s’en nourrir ou pour nourrir ses petits.

Maladies des coraux: Maladies qui provoquent un blanchiment de la surface des coraux ou la formation de bandes blanches, noires ou brunes. Causées notamment par des bactéries, des virus ou de petits champignons, elles tuent parfois les coraux.

Microbes: Organismes invisibles à l’œil nu, par exemple des bactéries et des virus, les plus abondants sur Terre ; on les trouve dans l’air, l’eau et sur d’autres organismes.

Système immunitaire: Réseau complexe de cellules et d’organes capable de reconnaître des microbes dangereux pour notre santé et de nous défendre contre eux.

Mucus: Couche visqueuse produite sur la peau de nombreux animaux marins. Elle contient beaucoup de microbes utiles, qui participent notamment à la protection de l’animal contre les envahisseurs microbiens environnants.

Virus: Les virus sont des microbes très petits qui contiennent de l’information génétique mais qui sont très différents des bactéries. Ils se reproduisent dans une cellule hôte (celle d’une bactérie ou d’un autre être vivant), y pénètrent, s’y multiplient et généralement en ressortent.

Séquençage de L’ADN: Processus qui permet de séquencer l’information génétique (ADN) contenue dans chaque cellule grâce à des machines puissantes.

Larve: Premier stade de développement de certains organismes, après l’éclosion de l’œuf.

Conflit d’intérêts

Les auteurs déclarent que les travaux de recherche ont été menés en l’absence de toute relation commerciale ou financière pouvant être interprétée comme un potentiel conflit d’intérêts.


Article source

Bettarel, Y., Halary, S., Auguet, J. C., Mai, C. T., Bui, V. N., Bouvier, T., et al. 2018. Corallivory and the microbial debacle in two branching scleratinians. ISME J. 12:1109–26. doi: 10.1038/s41396-017-0033-5


Références

[1] Bettarel, Y., Halary, S., Auguet, J. C., Mai, C. T., Bui, V. N., Bouvier, T., et al. 2018. Corallivory and the microbial debacle in two branching scleratinians. ISME J. 12:1109–26. doi: 10.1038/s41396-017-0033-5