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Concept de base Sciences de la Terre Publié le 4 octobre 2023

Même pas peur de l’eau bouillante ! Les milieux de vie favoris des microbes thermophiles

Résumé

Est-ce que tu aimes passer les chaudes journées d’été sur la plage ? Prendre un bain de soleil, te détendre et jouer à des jeux ? S’il commence à faire trop chaud, tu peux très vite te rafraîchir dans l’eau tiède de l’océan. Alors que nous, les humains, nous aimons qu’il fasse juste assez chaud, il y a sur notre planète des êtres vivants qui mourraient de froid même en pleine canicule. Ces minuscules créatures sont des microbes thermophiles, c’est-à-dire qui aiment la chaleur. Ils ne se développent qu’à des températures supérieures à 50 °C et ce que certains préfèrent, ce sont les eaux bouillantes à proximité des volcans au fond des océans ou des sources thermales terrestres. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, la plupart de ces microbes ne vivent pas dans des déserts, mais sur des îles volcaniques de l’océan Atlantique et près du pôle Nord. Ils sont très importants, car on les utilise dans l’industrie et les laboratoires.

Savais-tu que des microbes vivent sur notre planète dans des milieux invivables ?

Les organismes vivants les plus petits, appelés microbes ou micro-organismes, sont invisibles à l’œil nu [1]. Il y a plus de 300 ans, le microbiologiste danois Antoni van Leeuwenhoek a été le premier à observer ces cellules au microscope. Un microbiologiste est un scientifique qui étudie les microbes. Globalement, on peut trouver des microbes partout sur la Terre. Le sol, l’eau et l’air sont largement colonisés par ces organismes minuscules mais on les trouve aussi sur et dans les aliments, les animaux et même dans notre propre corps ! S’il y a des microbes qui peuvent provoquer des maladies dangereuses comme la diarrhée ou la grippe, la plupart des microbes sont inoffensifs pour les humains. En fait, certains microbes sont utilisés pour la fabrication de yaourts ou de fromage, mais aussi pour le traitement des eaux usées. Certains microbes se développent mieux dans l’obscurité, d’autres dans des espaces sans oxygène, se nourrissent des sucres dans les fruits ou se développent à la surface ou à l’intérieur des fromages et sont responsables de leur odeur parfois peu agréable.

Ce n’est pas particulièrement impressionnant que des microbes puissent survivre dans l’océan ou à 37 °C (la température de notre corps), mais certains groupes de microbes incroyables colonisent les endroits les plus surprenants de notre planète. Ces microbes peuvent prospérer dans des conditions extrêmes, invivables pour n’importe quel autre organisme, et ils sont peut-être les plus anciennes formes de vie sur Terre. Ces organismes sont appelés extrêmophiles (ils aiment les conditions extrêmes). Mais où les trouve-t-on ?

Où habitent les microbes qui aiment les chaleurs extrêmes ?

Les zones les plus chaudes sur Terre se trouvent souvent près des volcans, qu’ils soient terrestres ou sous-marins. La dorsale médio-atlantique est une chaîne sous-marine entre de gigantesques plaques rocheuses au fond de l’océan Atlantique (Figure 1). Ces plaques rocheuses sont appelées « plaques tectoniques » et elles sont tellement immenses que la plaque nord-américaine s’étend sous Cuba, les États-Unis, le Canada et le Groenland, alors que la plaque eurasienne s’étend sous l’Europe et une bonne partie de l’Asie. À divers endroits, de magnifiques îles volcaniques ont très lentement émergé depuis le fond de l’océan. Parmi ces îles, les Açores se trouvent à mi-chemin environ entre les États-Unis et le Portugal, alors que l’Islande est tout au nord, entre le Groenland et la Norvège. Ces îles sont couvertes de sources chaudes, où des eaux souterraines atteignent la surface de la Terre. Ces eaux ont été fortement réchauffées en circulant à travers des zones très chaudes du sous-sol terrestre avant d’atteindre la surface. Si tu te promènes aux Açores, tu verras cette eau qui fume et bout en permanence (Figure 1).

Figure 1 - Carte avec localisation de quelques endroits où vivent des microbes thermophiles, aux Açores et en Islande.
  • Figure 1 - Carte avec localisation de quelques endroits où vivent des microbes thermophiles, aux Açores et en Islande.
  • La dorsale médio-atlantique est localisée dans l’océan Atlantique, dans la zone de collision très lente entre les plaques tectoniques nord-américaine, eurasienne et africaine (ligne violette sur la carte). Les positions des îles volcaniques – les Açores et l’Islande – sont indiquées. Des photos de sources chaudes sont présentées, en Islande (encadrés verts en haut) et à São Miguel aux Açores (encadrés oranges en bas).

On trouve la plupart des sources chaudes et des geysers (sortes de fontaines naturelles d’où jaillissent de façon intermittente de l’eau chaude et de la vapeur d’eau) dans le parc national de Yellowstone dans le Wyoming aux États-Unis. C’est là que le microbiologiste Thomas Brock a découvert les premiers microbes thermophiles il y a une cinquantaine d’années. Jusque-là, les scientifiques pensaient que des milieux aussi chauds étaient stériles, c’est-à-dire qu’aucun être vivant ne pouvait y vivre à cause des très hautes températures. Thomas Brock a isolé et décrit le premier microbe thermophile et lui a donné le joli nom de Thermus aquaticus [2] (Figure 2). Les microbes n’ont généralement pas de nom commun et nous utiliserons dans cet article leur nom scientifique, qui est expliqué en détail dans l’encadré 1.

Figure 2 - Illustration de Thermus aquaticus.
  • Figure 2 - Illustration de Thermus aquaticus.
  • (A) Photo au microscope d’un amas de cellules de Thermus aquaticus cultivées à haute concentration. (B) Deux cellules uniques de Thermus aquaticus. (C) Schéma montrant la structure de la cellule de Thermus aquaticus, qui comprend une paroi et une membrane de la cellule ainsi que son ADN. L’échelle est indiquée en micromètres (μm) ou microns ; 1 μm correspond à 1 millionième de mètre.

Encadré 1 - Le mystère des noms scientifiques

Les scientifiques utilisent souvent des noms compliqués, en particulier des noms latins ou grecs pour désigner les organismes. D’accord, c’est facile de comprendre que Rattus rattus est le nom scientifique du rat noir, qu’Hippopotamus amphibius est l’hippopotame, et que Gorilla gorilla est le gorille de l’ouest. Mais que signifie Thermus aquaticus ? Le premier mot d’un nom scientifique indique le genre, caractérisant le groupe d’organismes auquel il appartient. Le nom de genre est abrégé par sa première lettre dès qu’il est utilisé pour la deuxième fois dans un article (T. aquaticus). Le second mot du nom est le nom d’espèce, qui caractérise précisément le type d’organisme. Il y a souvent plusieurs espèces différentes appartenant à un même genre ; par exemple, Rattus norvegicus est le rat brun.

Le nom T. aquaticus nous apprend que ce microbe est thermophile (« thermos » signifie chaud en grec) et qu’il vit dans l’eau (« aqua » signifie « eau » en latin). T. aquaticus peuple plusieurs sources chaudes dans le parc national de Yellowstone et d’autres zones où la température est d’environ 70 °C. Ce microbe ne pousse pas en dessous de 40 °C, et une température supérieure à 79 °C lui est mortelle. S’il a bien découvert le premier thermophile, Thomas Brock n’a pas trouvé de microbes qui supportent l’eau bouillante. Mais sa découverte a lancé la chasse aux micro-organismes les plus résistants à la chaleur, dont certains sont proches de T. aquaticus. Très vite, des micro-organismes thermophiles appartenant à d’autres familles ont été découverts ailleurs sur Terre, et les scientifiques ont compris que les extrêmophiles étaient en fait très communs. Il y en a tellement qu’il est impossible d’estimer combien de nouvelles espèces seront découvertes dans le futur.

Une nouvelle étape importante dans la découverte des extrêmophiles a été franchie lorsque le chercheur allemand Karl Stetter a présenté à la communauté des microbiologistes un nouveau microbe fort intéressant. Karl Stetter et son équipe l’ont découvert dans le fond océanique, où de l’eau très chaude sort de dessous les plaques tectoniques par des cheminées appelées fumeurs, et l’ont appelé Pyrolobus fumarii. Ce microbe a une drôle de forme, irrégulière. Son nom reflète sa préférence pour la chaleur (« pyro » signifie « feu » en grec), sa forme (« lobus » veut dire « avec des lobes ») et son habitat naturel (« fumarii » pour « fumeurs »). P. fumarii est encore plus thermophile que T. aquaticus ! Sa découverte a fait grimper la température maximale de la vie à 113 °C – c’est assez chaud pour que l’eau bout ! Des températures en dessous de 90 °C sont déjà bien trop froides pour que P. fumarii puisse se développer (Figure 3) [3].

Figure 3 - Thermomètre indiquant les températures (en degré Farenheit ° F et en degré Celsius ° C) auxquelles peuvent prospérer différents organismes.
  • Figure 3 - Thermomètre indiquant les températures (en degré Farenheit ° F et en degré Celsius ° C) auxquelles peuvent prospérer différents organismes.
  • Lexique. Growth temperature of : température de croissance de ; humans : êtres humains.

Y a-t-il d’autres environnements qui seraient très inconfortables pour nous mais pas pour les microbes ?

Les humains n’aiment pas les températures proches de 100 °C (sauf peut-être dans le cadre d’un bref passage au sauna), alors que les microbes thermophiles vivent toute leur vie dans de telles conditions. Il y a aussi d’autres milieux naturels extrêmes qui sont peuplés par des microbes. Ces microbes vivent au fond des océans (au froid, à forte pression), dans des lacs très salés ou dans des glaciers. As-tu déjà entendu parler des microbes qui préfèrent vivre dans des acides chauds ?

Le microbe extrêmophile le plus impressionnant est probablement Picrophilus torridus découvert par l’équipe de Wolfram Zillig (1925 – 2005). P. torridus préfère des températures modérément chaudes, entre 55 et 65 °C, mais dans un milieu très acide. Il vit dans ce qui est comparable à de l’acide de batterie de voiture, chaud et dilué. Ce microbe a été trouvé dans des sols acides et chauds au Japon [4]. Ses préférences et son mode de vie se reflètent aussi dans son nom scientifique : « picros » signifie « acide » en grec, « philos » veut dire « qui aime » et « torridus » signifie « sec et brûlé » en latin.

Il y a aussi des microbes qui sont parfaitement adaptés à des milieux créés par les humains. Ils prospèrent dans des eaux usées industrielles toxiques ou près de centrales nucléaires. Plusieurs ont été découverts à Tchernobyl, site du terrible accident nucléaire de 1986. Ces microbes sont exposés à des radiations très dangereuses et même mortelles pour les humains, mais ils réussissent à les convertir en énergie qu’ils utilisent pour proliférer [5].

Est-ce que les microbes extrêmophiles peuvent nous être utiles ?

Parce qu’ils peuvent supporter différents milieux hostiles, ces microbes et les composés chimiques qu’ils contiennent peuvent être d’un intérêt majeur pour certaines industries. Une protéine particulière (une enzyme) de T. aquaticus est très utile aux chercheurs en microbiologie. Cette enzyme s’appelle la Taq-polymérase et est utilisée dans les laboratoires pour fabriquer des millions de copies de molécules d’ADN selon un procédé appelé PCR (de l’anglais « Polymerase chain reaction », qui est une réaction en chaîne d’amplification enzymatique d’ADN). Une des étapes de ce procédé nécessite une température de 95 °C, ce qui inactive les polymérases les plus courantes, mais pas celle de T. aquaticus. De nos jours, la PCR est très couramment utilisée en sciences de la vie, notamment en biologie, mais aussi dans des investigations criminelles ou dans le diagnostic de maladies.

Les microbes extrêmophiles peuvent aussi être utilisés dans un procédé appelé bioremédiation, utilisé pour dégrader et ainsi éliminer les toxines de milieux contaminés. D’autres micro-organismes extrêmophiles ont un intérêt industriel car leurs enzymes peuvent être utilisées pour décomposer de l’amidon ou d’autres résidus végétaux. C’est utile pour la production de bioénergie ou de composés chimiques utiles. Il existe aussi des microbes qui aiment le froid (psychrophiles). Ils produisent des enzymes qui peuvent être utilisées comme composants de lessives par exemple, ce qui permet de laver le linge à des températures plus basses et de consommer moins d’énergie.

Il ne faut pas avoir peur des microbes extrêmophiles ! Comme ils ont l’habitude des milieux trop extrêmes pour les êtres humains, ils ne peuvent pas nous rendre malade. Avec une température de 37 °C, notre corps n’est tout simplement pas un milieu assez chaud pour qu’ils puissent s’y installer.

Financement

Le projet de ressources éducatives libres des auteurs, intitulé « micro-organismes extrêmophiles », est financé par l’état de Hambourg, Allemagne, dans le cadre du projet Hamburg Open Online University-project (http://www.hoou.de/).

Contributions à la version française

TRADUCTEUR : Catherine Braun-Breton (Association Jeunes Francophones et la Science, Montpellier, France)

ÉDITEUR : Ula Hibner (Association Jeunes Francophones et la Science, Montpellier, France)

MENTOR SCIENTIFIQUE : Joseph Chamieh (IBMM, Montpellier, France)

JEUNE EXAMINATEUR : Gaël, 8 ans. Gaël aime les sciences, surtout la biologie, parce qu’il aime les animaux et les plantes ; il est curieux et il adore lire.

Glossaire

Organisme: Être vivant organisé tel qu’une plante, un animal, un être humain ou un microbe.

Microbe/micro-organisme: Organismes principalement composés que d’une seule cellule, comme les bactéries, les algues et les champignons. La levure de boulanger est par exemple un champignon unicellulaire.

Extrêmophile: Organisme (bactérie ou archée) qui vit dans des conditions extrêmes, souvent mortelles pour d’autres organismes (températures très hautes ou très basses, milieux très salés, très acides ou sous haute pression).

Sources chaudes: Endroits où l’eau souterraine chauffée jaillit à la surface de la Terre. L’eau de ces sources peut-être de température modérée ou être en ébullition.

Geyser: Source qui projette par intermittence de l’eau chaude et de la vapeur d’eau. Environ 50 % des geysers se trouvent dans le parc national de Yellowstone dans le Wyoming aux États-Unis.

TAQ-polymérase: Enzyme capable de fabriquer des copies d’ADN à haute température. Essentielle à la réplication d’ADN, elle est souvent utilisée en laboratoire pour répliquer des molécules d’ADN en grand nombre.

ADN (Acide Désoxyribo-Nucléique): Support de l’information génétique des cellules (transmise de génération en génération). À partir des informations contenues dans l’ADN, les cellules peuvent fabriquer leurs protéines et assurer leurs activités.

Bioremédiation: Procédé de dépollution biologique grâce à des micro-organismes.

Conflit d’intérêts

Les auteurs déclarent que les travaux de recherche ont été menés en l’absence de toute relation commerciale ou financière pouvant être interprétée comme un potentiel conflit d’intérêts.


Références

[1] Kopf, A., Schnetzer, J., and Glöckner, F. O. 2016. Marine microbes, the driving engines of the ocean. Front. Young Minds 4:1. doi: 10.3389/frym.2016.00001

[2] Brock, T. D., and Freeze, H. 1969. Thermus aquaticus gen. n. and sp. n., a nonsporulating extreme thermophile. J. Bacteriol. 98(1):289-97. doi: 10.1126/science.230.4722.132

[3] Blöchl, E., Rachel, R., Burggraf, S., Hafenbradl, D., Jannasch, H. W., and Stetter, K. O. 1997. Pyrolobus fumarii, gen. and sp. nov., represents a novel group of Archaea, extending the upper temperature limit for life to 113 degrees C. Extremophiles 1:14–21. doi: 10.1007/s007920050010

[4] Schleper, C., Pühler, G., Klenk, H. P., and Zillig, W. 1996. Picrophilus oshimae and Picrophilus torridus fam. nov., gen. nov., sp. nov., two species of hyperacidophilic, thermophilic, heterotrophic, aerobic Archaea. Int. J. Syst. Evol. Microbiol. 46:814–6. doi: 10.1099/00207713-46-3-814

[5] Dadachova, E., Bryan, R. A., Huang, X., Moadel, T., Schweitzer, A. D., Aisen, P., et al. 2007. Ionizing radiation changes the electronic properties of melanin and enhances the growth of melanized fungi. PLoS ONE 2(5):e457. doi: 10.1371/journal.pone.0000457