Résumé
Les bactéries sont vraiment petites, si petites que tu ne peux même pas les voir. Sais-tu que les bactéries peuvent tomber malade, tout comme nous ? D’ailleurs, la plupart des virus qui existent infectent les bactéries, pas les gens. Que se passe-t-il lorsqu’une bactérie est infectée par un virus ? Eh bien, tout comme nous, les bactéries ont des systèmes de défense contre les infections. Récemment, les scientifiques ont découvert de nouveaux systèmes de défense des bactéries, qui nous permettent de développer des outils très puissants. L’un de ces systèmes, appelé « CRISPR », nous permet de modifier l’ADN d’autres organismes comme nous le souhaitons.
Les virus infectent les bactéries
Les bactéries, ces organismes invisibles à l’œil nu, peuvent tomber malades, tout comme nous ! Si tu as déjà attrapé un rhume ou eu la grippe, tu sais que ce n’est pas drôle d’être infecté par un virus. Il se trouve que la plupart des virus qui existent infectent les bactéries plutôt que les humains. Les scientifiques appellent ces virus « bactériophages » (ce qui signifie littéralement « mangeurs de bactéries »). Il y a environ 1030 virus dans l’océan (c’est un 1 avec 30 zéros derrière !). C’est plus qu’il n’y a d’étoiles dans l’Univers ! La plupart de ces virus infectent des bactéries [1].
Peut-être que c’est la première fois que tu en entends parler, mais les bactéries et les virus existent depuis très longtemps. Ils évoluent côte à côte et se livrent une bataille constante depuis plus de trois milliards d’années [2]. Depuis le temps, les bactéries ont acquis quelques armes pour se défendre.
Les bactéries aussi se défendent contre les virus
Notre corps dispose de plusieurs moyens pour nous empêcher de tomber malade et pour nous aider à nous rétablir rapidement. Notre première ligne de défense, ce sont notre peau et les couches de cellules qui couvrent notre corps. Elles forment une barrière qui maintient à l’écart les bactéries et les virus. C’est pourquoi lorsque tu te blesses, il faut bien nettoyer la plaie pour éviter une infection.
Parfois, ces barrières ne suffisent pas et tu tombes malade, tu as de la fièvre. La fièvre est le signe que ton corps est en train de combattre ce qui te rend malade. Ton corps a des moyens rusés de combattre les infections [3]. Quand il en aura vaincu une, il se souviendra du virus qui l’a causée, et ne le laissera pas te faire du mal à nouveau. C’est ce qu’on appelle « l’immunité adaptative », et c’est la raison pour laquelle on n’attrape généralement qu’une seule fois la varicelle. C’est aussi ce qui fait fonctionner les vaccins. Un vaccin montre à notre système immunitaire un petit morceau du virus, ou le virus tué ou affaibli. Cela active l’immunité adaptative, qui va garder en mémoire la capacité à combattre ce microbe. Nous sommes alors protégés d’une nouvelle infection par le même virus. Certains virus, ceux de la grippe ou du rhume par exemple, évoluent avec le temps, et ton système immunitaire n’arrive pas à identifier ces nouvelles versions légèrement différentes. Tu peux ainsi attraper plusieurs fois le rhume ou la grippe.
Les bactéries semblent beaucoup plus simples que nous. Après tout, elles sont vraiment très petites et ne sont constituées que d’une seule cellule, elles n’ont ni cerveau, ni organes ! Leur cellule est aussi beaucoup plus simple que les nôtres. Et pourtant, les bactéries peuvent se défendre contre les virus, tout comme nous !
Les bactéries sont entourées d’une membrane et d’une paroi cellulaires. Ces deux couches forment un bouclier qui protège les bactéries du monde extérieur, comme ta peau le fait pour toi. Les virus doivent s’accrocher à la surface de la bactérie et traverser ce bouclier pour pénétrer à l’intérieur. Si la bactérie change la nature de sa paroi, les virus ne pourront plus s’y accrocher, ce qui protège la bactérie de l’infection.
Mais que se passe-t-il quand le virus réussit à infecter la bactérie ? Eh bien, certaines bactéries ont elles aussi une sorte d’immunité adaptative : elles peuvent conserver la mémoire du virus pour mieux s’en défendre par la suite. Ce phénomène est une découverte très récente [4, 5]. Auparavant, personne n’imaginait que les bactéries étaient assez complexes pour posséder un tel mécanisme. Comme quoi, la nature nous réserve toujours des surprises ! Le système qui procure une immunité adaptative aux bactéries est appelé « système CRISPR ».
CRISPR est l’abréviation de « Clustered Regularly-Interspaced Short Palindromic Repeats », ce qui est une façon compliquée de le décrire. Lorsque les scientifiques ont séquencé le matériel génétique de certaines bactéries, ils ont découvert une région d’ADN dans laquelle une même séquence courte est répétée de nombreuses fois avec un espacement de taille similaire entre deux répétitions. Les petites répétitions sont identiques mais les intervalles ont des séquences différentes : chaque intervalle est unique et correspond à une séquence de matériel génétique viral. Les petites répétitions sont des palindromes – on peut les lire de gauche à droite ou de droite à gauche (comme le mot « kayak »). Les scientifiques ont abrégé tout ça en quelques lettres, CRISPR. Ne leur en veux pas d’avoir choisi un mot si compliqué ! Ils font de leur mieux pour comprendre comment le monde fonctionne, mais ne sont pas toujours très doués pour donner des noms simples aux choses.
Comment fonctionne CRISPR ?
Comment est-ce que CRISPR aide les bactéries à se souvenir d’un virus ? Pour le comprendre, il faut d’abord savoir ce qu’est un virus. Contrairement aux humains et aux bactéries, les virus ne sont pas constitués de cellules mais d’une capside de protéines qui contient leur matériel génétique sous forme d’ADN ou d’ARN. L’ADN est comme une très longue phrase codée qui contient toute l’information pour le développement d’un organisme, comment il doit fonctionner et grandir dans le monde qui l’entoure. L’ARN ressemble beaucoup à l’ADN, et certains virus l’utilisent comme matériel génétique. C’est comme si ton code à toi et celui de ces virus étaient écrits sur des matériaux différents, le tien sur du papier et celui du virus sur une tablette de pierre.
Pour qu’un virus puisse se multiplier, il faut qu’il infecte une cellule. Un bactériophage injecte son matériel génétique – sous forme d’ADN ou d’ARN – dans la bactérie. Cela reprogramme la cellule, qui se met à fabriquer de très nombreuses copies de l’ADN ou de l’ARN viral et des protéines virales qui forment des capsides et emballent le matériel génétique du virus. Au bout du compte, la bactérie est détruite et cela libère les très nombreux virus nouvellement formés et prêts à infecter d’autres bactéries. Tu peux voir comment cela fonctionne dans la figure 1.
CRISPR fait en sorte que la bactérie puisse survivre à ce plan diabolique ! Cela marche en deux étapes. Quand une bactérie dispose d’un système CRISPR, elle stocke des petits morceaux d’ADN viral. C’est comme si chaque petit morceau était un souvenir différent, et le reconnaître chez un intrus permet à la bactérie de savoir s’il est dangereux. Comme cette mémoire est inscrite dans l’information génétique de la bactérie, celle-ci la transmet à toutes ses descendantes, qui reconnaîtront ainsi les ennemis de leur ancêtre.
Si un virus injecte son matériel génétique dans une de ces bactéries et que celui-ci correspond à un souvenir stocké dans la région CRISPR, le système CRISPR détecte que quelque chose ne va pas. Cela active la deuxième étape de l’immunité CRISPR, qui consiste à découper le matériel génétique du virus avant que des copies du virus ne soient fabriquées. Et voilà, plus d’infection ! Nous montrons comment cela fonctionne dans la figure 2. Bien sûr, les bactéries ne « pensent » pas et ne « se rappellent » pas les choses comme nous, car elles n’ont pas de cerveau. Toutes les étapes de l’immunité CRISPR se déroulent automatiquement, et les comparer à des souvenirs sert à les comprendre plus facilement.
Pourquoi CRISPR intéresse tant les chercheurs
Récemment, CRISPR a beaucoup fait parler de lui. Cet étrange petit système que les bactéries utilisent pour combattre les virus passionne les chercheurs ! Tu te demandes pourquoi tant d’excitation ? Il se trouve que nous, les humains, nous sommes plutôt doués pour nous approprier les outils que les bactéries ont développés pendant des milliards d’années d’évolution et les utiliser à nos propres fins. Les scientifiques ont réussi à transformer CRISPR en un moyen de modifier l’ADN (on parle d’édition de l’ADN, comme pour un livre) [6, 7]. Les bactéries utilisent CRISPR pour découper l’ADN des virus d’une manière très spécifique. Les scientifiques ont compris comment utiliser CRISPR pour découper n’importe quel ADN de manière très précise et comme ils le veulent !
Mais pourquoi les scientifiques veulent-ils éditer de l’ADN ? Certaines maladies humaines sont très difficiles à soigner car elles sont inscrites dans notre ADN. Ces maladies, comme l’anémie falciforme ou la mucoviscidose, ne sont pas dues à des bactéries ou à des virus, mais à de minuscules modifications de notre information génétique. Quand ces modifications sont présentes, notre organisme ne fonctionne plus comme il devrait. CRISPR nous permet de les réparer et ainsi guérir certaines maladies génétiques. Et ce n’est pas tout ! Les scientifiques utilisent aussi CRISPR pour produire des plantes comestibles plus résistantes, pour essayer de remplacer des moustiques porteurs de maladies infectieuses par des moustiques incapables de transmettre ces maladies, et bien plus encore.
Nous sommes encore en train d’apprendre comment utiliser CRISPR au mieux comme boîte à outils. Il est important de s’assurer que ces outils soient utilisés pour de bonnes raisons et de la bonne façon, sans erreurs et sans risque. Récemment, un scientifique a utilisé CRISPR pour modifier l’ADN de deux futurs enfants. Il essayait de les rendre résistants à certaines maladies. La communauté scientifique mondiale a été très inquiète lorsqu’elle a appris cela. De nombreux scientifiques se demandaient si les procédures utilisées étaient sans risque pour les enfants après leur naissance, si le chercheur avait agi de manière éthique. Les chercheurs étaient nombreux à estimer que le jeu n’en valait pas la chandelle. Les maladies que ces modifications permettraient de prévenir étaient facilement évitables par d’autres méthodes. La technologie CRISPR n’est pas encore parfaite et pourrait être nuisible. En effet, nous savons que CRISPR peut introduire des modifications dans l’ADN là où nous ne le souhaitons pas. L’utilisation de la technologie sur les humains est risquée. Il est important de se rappeler que ce n’est pas parce qu’un scientifique peut faire quelque chose qu’il devrait forcément le faire.
Les scientifiques du monde entier organisent fréquemment de grandes réunions pour discuter de ces questions et de la meilleure façon de progresser. Lors de ces réunions, ils se posent mutuellement, ainsi qu’aux membres du public, des questions telles que : « Est-il acceptable de modifier l’ADN d’un être humain ? » et « Si oui, dans quels cas est-ce acceptable ? ». Qu’en penses-tu ? Et si nous utilisions CRISPR pour guérir des maladies ? Et si nous l’utilisions à d’autres fins, par exemple pour rendre les gens plus intelligents ou plus forts ? Et si seules certaines familles pouvaient se le permettre ? Il est important de discuter de ces questions et de faire participer au débat des personnes du monde entier. Nous pourrons ainsi choisir une voie qui tienne compte des besoins et des inquiétudes de toutes les personnes concernées.
Contributions à la version française
TRADUCTEUR : Catherine Braun-Breton (Association Jeunes Francophones et la Science, Montpellier, France)
ÉDITEUR : Sylvie Boussès-Hurtrez (Association Jeunes Francophones et la Science, Montpellier, France)
MENTOR SCIENTIFIQUE : Daniel Breton (Association Jeunes Francophones et la Science, Montpellier, France)
JEUNE EXAMINATEUR : Claire, 14 ans. Je m’appelle Claire et j’ai quatorze ans. Je suis franco-américaine et je vis en Virginie aux Etats-Unis. J’aime les sciences, la danse, le piano et le violoncelle.
Glossaire
Virus: ↑ Organisme microscopique constitué de son matériel génétique (ADN ou ARN) entouré d’une capside de protéines. Lorsqu’il pénètre dans une cellule, le virus la transforme en usine à fabriquer des virus.
Immunité adaptative: ↑ Mécanisme qui permet à un organisme de se souvenir des infections du passé et de mieux lutter contre elles à l’avenir.
Bactérie: ↑ Microbe constitué d’une seule cellule. Certaines peuvent provoquer des maladies, mais la plupart sont bénéfiques pour notre santé, comme celles qui vivent dans notre intestin.
CRISPR: ↑ Système de défense des bactéries qui garde la mémoire des virus rencontrés dans le passé et leur permet de les combattre à l’avenir.
Capside: ↑ Enveloppe de protéines qui contient le matériel génétique d’un virus.
Édition de l’ADN: ↑ Les scientifiques ont découvert comment utiliser CRISPR pour modifier l’ADN. Ils peuvent désormais modifier le « manuel d’instructions » qui indique à chaque organisme comment vivre et se développer.
Anémie falciforme: ↑ Maladie génétique (aussi appelée drépanocytose) qui affecte les globules rouges. Les globules rouges sont déformés, en forme de faucille, et n’assurent plus un transport efficace de l’oxygène jusqu’aux organes.
Mucoviscidose: ↑ Maladie génétique qui provoque l’épaississement des sécrétions de plusieurs organes, en particulier les poumons. L’insuffisance respiratoire est une des manifestations classiques de cette maladie.
Conflit d’intérêts
Les auteurs déclarent que les travaux de recherche ont été menés en l’absence de toute relation commerciale ou financière pouvant être interprétée comme un potentiel conflit d’intérêts.
Références
[1] ↑ Suttle, C. A. 2005. Viruses in the sea. Nature 437:356. doi: 10.1038/nature04160
[2] ↑ Forterre, P. 2006. The origin of viruses and their possible roles in major evolutionary transitions. Virus Res. 117:5–16. doi: 10.1016/j.virusres.2006.01.010
[3] ↑ Chaplin, D. D. 2010. Overview of the immune response. J. Allergy Clin. Immunol. 125:S3–23. doi: 10.1016/j.jaci.2009.12.980
[4] ↑ Mojica, F. J., Díez-Villaseñor, C., García-Martínez, J., and Soria, E. 2005. Intervening sequences of regularly spaced prokaryotic repeats derive from foreign genetic elements. J. Mol. Evol. 60:174–82. doi: 10.1007/s00239-004-0046-3
[5] ↑ Barrangou, R., Fremaux, C., Deveau, H., Richards, M., Boyaval, P., Moineau, S., et al. 2007. CRISPR provides acquired resistance against viruses in prokaryotes. Science 315:1709–12. doi: 10.1126/science.1138140
[6] ↑ Jinek, M., Chylinski, K., Fonfara, I., Hauer, M., Doudna, J. A., and Charpentier, E. 2012. A programmable dual-RNA-guided DNA endonuclease in adaptive bacterial immunity. Science 337:816–21. doi: 10.1126/science.1225829
[7] ↑ Gasiunas, G., Barrangou, R., Horvath, P., and Siksnys, V. 2012. Cas9-crRNA ribonucleoprotein complex mediates specific DNA cleavage for adaptive immunity in bacteria. Proc. Natl. Acad. Sci. U.S.A. 109:E2579–86. doi: 10.1073/pnas.1208507109