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Concept de base Sciences de la Terre Publié le 4 octobre 2023

Recycler dans l’océan arctique avec les super-pouvoirs des microbes

Résumé

Savais-tu que les microbes, trop petits pour que l’œil humain puisse les voir, sont bien plus nombreux et pèsent beaucoup plus au total que tous les autres animaux ? Les microbes qui vivent en Arctique jouent une variété surprenante de rôles en recyclant de la nourriture. Même si elles sont très froides, les eaux arctiques sont riches en nutriments, ce qui permet à des microbes particuliers, des algues unicellulaires, de se développer en grand nombre. Seuls les microbes adaptés au froid peuvent survivre dans ces eaux qui atteignent parfois des températures négatives ! Ces algues microscopiques utilisent le dioxyde de carbone (CO2) et l’énergie solaire pour se développer, contribuant ainsi à réduire les niveaux de CO2 dans l’atmosphère. Des animaux microscopiques – le zooplancton – mangent des microbes plus petits. Tous les microbes excrètent des déchets et finissent par mourir. Les produits qui en résultent ne sont cependant pas gaspillés. D’autres microbes, comme des bactéries et des champignons, sont d’excellents recycleurs et décomposent les organismes morts en énergie chimique et en nutriments réutilisés par les algues unicellulaires et d’autres microbes.

Pourquoi les microbes sont-ils si importants ?

Les microbes sont des organismes microscopiques dont beaucoup sont constitués d’une seule cellule. Savais-tu qu’un litre d’eau de mer contient des milliards de microbes [1] ? Compte tenu de la taille de nos océans, cela signifie qu’il y a 100 milliards de fois plus de microbes dans les océans qu’il n’y a d’étoiles dans l’Univers connu ! Il existe des milliers de types de microbes que les chercheurs continuent de découvrir. En fait, les microbes marins représentent 70 % de la masse vivante totale de tous les océans ! [2]. Certains d’entre eux sont la base du réseau alimentaire et subviennent, en raison de leur nombre et de leur activité, aux besoins de tous les organismes plus grands.

Le rôle des microbes est encore plus important ! Ils fournissent la moitié de l’oxygène que nous respirons et régulent le climat de la Terre. Certains microbes peuvent absorber du CO2, un gaz qui piège la chaleur dans notre atmosphère et contribue au réchauffement de la planète. Grâce aux microbes, l’océan profond et les sédiments contiennent presque moitié moins de CO2 que l’atmosphère. Le CO2 piégé dans l’océan profond ne contribue pas au réchauffement climatique. L’absorption de CO2 par les océans est donc bonne pour notre planète. L’absorption de CO2 n’est pas la même dans tous les océans. L’océan Arctique en absorbe une quantité particulièrement importante. Malgré son importance pour la régulation du CO2 dans notre environnement, nous savons très peu de choses sur l’océan Arctique.

Pourquoi ne savons nous pas grand-chose de la vie dans l’arctique ?

Apprendre à connaître l’Arctique et les organismes qui y vivent est extrêmement difficile, car cet océan est en grande partie inaccessible. Pendant une grande partie de l’année, une glace épaisse empêche les navires d’y pénétrer et le climat est trop rude pour y mener des expériences. Pour cette raison, nous ne voyons que des instantanés des processus qui se déroulent dans l’Arctique, principalement pendant les mois d’été. Les conditions dans l’océan Arctique sont hostiles, avec des hivers longs et glacés et des étés courts et frais. Les températures moyennes de l’air en hiver peuvent descendre jusqu’à –34 °C et monter jusqu’à 10 °C en été, bien que la température de l’océan reste stable, entre –1,5 et –3 °C. Une grande partie de l’eau est emprisonnée sous forme de glace. Selon la distance au pôle Nord, il peut faire nuit pendant six mois, alors que pendant l’été le soleil ne se couche jamais.

De nombreux microbes vivent dans ou sous la glace. La glace qui se forme sur l’océan Arctique n’est pas aussi solide qu’on pourrait le penser. De nombreux petits canaux d’eau la traversent (Figure 1). Ces canaux transportent de l’eau très salée et sont appelés « canaux de saumure ». Beaucoup de microbes, dont des algues, des champignons et des bactéries, vivent et se nourrissent dans la saumure.

Figure 1 - Un réseau alimentaire typique de l’Arctique.
  • Figure 1 - Un réseau alimentaire typique de l’Arctique.
  • Les flèches et les lignes montrent les liens entre les animaux, les microbes et les aliments/nutriments qu’ils consomment. La boucle microbienne (lignes vertes) commence avec les producteurs primaires qui fabriquent de la matière organique. L’aspiration du carbone (flèches rouges) montre les déchets alimentaires ou les matières excrétées qui tombent au fond de l’océan. Les particules transparentes d’exopolymères (TEP) contribuent à l’absorption du carbone et constituent une source de nourriture pour les microbes, recyclant l’énergie dans la boucle microbienne. Les consommateurs primaires comme le zooplancton se nourrissent de microbes et sont à leur tour mangés par des animaux plus gros, transférant l’énergie aux grands prédateurs (flèches jaunes). Remarque : les organismes ne sont pas à l’échelle.

Lorsque les scientifiques ont la rare chance d’aller dans l’Arctique sur de grands brise-glaces de recherche, ils doivent se préparer minutieusement aux conditions hostiles (Figure 2). Des vêtements épais sont nécessaires, et les scientifiques et l’équipage doivent se protéger du soleil en portant des lunettes et un écran solaire appropriés. Même avec toutes ces précautions, les scientifiques doivent faire des pauses quand ils travaillent sur la glace ou sur le pont.

Figure 2 - Comment nous étudions les microbes de l’Arctique sur le navire James Clark Ross.
  • Figure 2 - Comment nous étudions les microbes de l’Arctique sur le navire James Clark Ross.
  • En haut : Collecte d’eau océanique profonde avec des particules transparentes d’exopolymères (TEP) et des champignons qui poussent sur les TEP. Birthe Zäncker (au milieu) cherche à savoir quels types de champignons vivent sur les particules transparentes d’exopolymères (TEP) et comment ils contribuent à déplacer le carbone dans l’océan profond. Elle filtre l’eau pour récupérer les champignons et les cultive pour les identifier grâce à des tests ADN. En bas : Capture du zooplancton dans des filets. Elliott Price trie de nombreux individus et utilise des tests de laboratoire spéciaux pour identifier ce que le zooplancton mange et en quelle quantité. (Avec l’aimable autorisation de E. Price, J. Hopkins, R. Jeffries, L. Norman, B. Zäncker, D. Conway).

Alors, comment font les microbes qui vivent dans les rudes conditions de l’Arctique toute l’année ? Ils ont plusieurs stratégies de survie qui leur permettent de résister au froid, comme la fabrication de molécules antigel empêchant la glace de se former dans la cellule, ce qui la ferait éclater. Les cellules des algues contiennent des graisses qui les aident à flotter à la surface et leur permettent de capter le faible ensoleillement de l’hiver. D’autres microbes hibernent, un peu comme certains animaux. Au printemps et en été, les microbes se développent et se reproduisent en grand nombre très rapidement.

Quelle quantité de CO2 les microbes font-ils passer de l’atmosphère aux sédiments reposant plusieurs kilomètres sous la surface de l’océan ?

Les algues unicellulaires sont appelées « producteurs primaires », car elles peuvent vivre de la lumière du soleil, sans l’aide d’autres êtres vivants. Grâce au processus de photosynthèse, ces algues fabriquent des sucres et d’autres composés à partir du CO2, en utilisant l’eau et la lumière du soleil. Tous les autres organismes dépendent de ces algues comme source de nourriture. Le zooplancton est un consommateur primaire, ce qui signifie qu’il mange directement les producteurs primaires (au lieu de manger d’autres organismes). Il peut se développer en groupes énormes. Les baleines et certains poissons mangent du zooplancton, et enfin, les grands prédateurs, tels que les ours polaires, se nourrissent de poissons et de phoques. La figure 1 montre un résumé d’un réseau alimentaire typique de l’Arctique.

Mais toute la nourriture n’est pas consommée et les restes se transforment en déchets. De plus, tout comme nous, les microbes doivent faire caca. Tous ces déchets ne sont pas jetés dans les toilettes. Les microbes aident à leur élimination, surtout en été, lorsque leur croissance est maximale. Des microbes spécialisés, tels que certaines bactéries et certains champignons, peuvent décomposer les restes de nourriture en petites particules contenant des nutriments essentiels. Ces particules peuvent être mangées par d’autres microbes, comme les algues, puis tout le processus peut recommencer, réutilisant ainsi les nutriments et réduisant la quantité de déchets qui tombent au fond de l’océan. Qu’en est-il du CO2 qui est produit par des millions de microbes en tant que déchet ? Celui-ci est recyclé par les algues au fur et à mesure de leur croissance car elles l’utilisent dans leur photosynthèse. Le gain ou la perte de CO2 dans l’écosystème dépend de l’équilibre entre sa production en tant que déchet et son utilisation dans le processus de photosynthèse.

Savais-tu que des champignons microscopiques prolifèrent dans les océans ? Comme dans la forêt, les champignons marins aident à décomposer les organismes morts et les déchets des cellules vivantes. Dans l’océan, les formes des champignons vont de simples cellules rondes à des cellules formant de minuscules tentacules appelées « hyphes » (Figure 1), qui les aident à se fixer à d’autres organismes et à des particules.

Mais le recyclage des déchets ne fonctionne pas parfaitement. La fonte des glaces de mer rend l’eau plus froide et moins salée. Très dense, elle coule au fond de l’océan, emportant avec elle des particules et des organismes en suspension avant que les microbes à la surface n’aient le temps de recycler les nutriments. Lorsqu’elles atteignent le fond, ces particules et organismes se retrouvent piégés dans les sédiments, enfermés pendant des millions d’années. C’est ce qu’on appelle l’absorption du carbone (Figure 1). Ce phénomène est bénéfique car le carbone est stocké hors de l’atmosphère et ne contribue plus au réchauffement climatique.

En plus des microbes marins, les chercheurs ont découvert que des particules gélatineuses, appelées « particules transparentes d’exopolymères » (TEP), jouent également un rôle important dans l’absorption du carbone. Les TEP sont très collantes et peuvent piéger les cellules et d’autres particules à leur surface. Les amas ainsi formés peuvent devenir lourds et couler assez rapidement, amenant au fond de l’océan des molécules contenant du carbone, au bénéfice de l’atmosphère.

Comment peut-on suivre le recyclage des déchets microbiens dans l’océan arctique ?

Nous devons comprendre comment fonctionne le recyclage du carbone dans la couche de surface de l’océan pour prédire comment le changement climatique affectera ce processus à l’avenir. Le changement climatique se traduit par un réchauffement de la Terre. Au cours du siècle dernier, la Terre s’est réchauffée de 0.87 °C en moyenne [3] à cause de l’augmentation du CO2 provenant de l’activité humaine. Cela peut sembler peu, mais a un effet significatif sur la vie, en particulier dans l’Arctique, où une température plus élevée fait fondre plus rapidement la glace de mer et les glaciers. Lorsque la plupart des glaciers auront disparu, l’Arctique perdra sa source d’eau douce et froide, et l’océan Arctique finira par devenir plus chaud et plus salé. Nous savons que la fonte des glaces aura un effet négatif sur les phoques et les ours polaires, qui dépendent de la glace de mer pour chasser et élever leurs petits. D’un autre côté, s’il y a moins de glace, la lumière pénètre plus profondément dans l’eau, permettant à de nouveaux types d’algues de se développer, de faire la photosynthèse et d’absorber le CO2. La croissance de nouveaux types d’algues dans des eaux plus chaudes pourrait compenser la perte d’algues de la banquise.

Les informations que nous recueillons sur les microbes grâce à des expériences nous permettront d’identifier ce qu’ils mangent et la quantité de nutriments transférés des algues aux grands animaux. La quantité de nutriments que les grands animaux sont capables d’obtenir déterminera leur capacité à s’adapter aux changements dans l’océan Arctique.

Résumé

Les microbes sont essentiels à l’écosystème arctique. Ils remplissent des fonctions essentielles, notamment en fournissant de la nourriture à d’autres organismes et en recyclant les nutriments qui sont ensuite réutilisés par d’autres microbes. Les microbes nourrissent les grands animaux de l’Arctique, ce qui permet à ces derniers de survivre dans des conditions difficiles. Ils réduisent aussi la concentration de carbone dans l’atmosphère en le piégeant au fond des océans. Cela contribue à réduire le réchauffement de notre planète. Nous n’en savons pas encore assez sur ce que sont ces microbes exactement, ce qu’ils font, ou comment le changement climatique les affectera. Notre travail consiste à comprendre dans quelle mesure les microbes de l’Arctique peuvent faire face aux changements climatiques et si les futurs microbes, en tant que base du réseau alimentaire, fourniront plus ou moins de nourriture aux prédateurs tels que les poissons, les baleines et les ours polaires.

Contributions à La Version Française

TRADUCTEURS : Jean-Marie Clément et Catherine Braun-Breton (Association Jeunes Francophones et la Science, Montpellier, France)

ÉDITEUR : Ula Hibner (Association Jeunes Francophones et la Science, Montpellier, France)

MENTOR SCIENTIFIQUE : Maud Borensztein (IGMM, Montpellier, France)

JEUNE EXAMINATEUR : Hugo, 9 ans. Je suis en CM1 et j’adore l’escrime, les mangas et jouer avec mes copains. Plus tard, je veux être inventeur.

Glossaire

Microbe: Organisme invisible à l’œil nu. Les microbes comprennent les bactéries, les archées, des eucaryotes microscopiques (algues, champignons, parasites). Certains microbes (algues, bactéries et archées) utilisent la photosynthèse.

Algues: Plantes vivant dans l’eau, pouvant être constituées d’une seule cellule ou faire plusieurs mètres de haut. Comme les plantes terrestres, elles ont besoin de la lumière du soleil pour vivre.

Producteur primaire: Les producteurs primaires produisent des sucres et d’autres nutriments nécessaires à la vie des cellules en utilisant l’énergie lumineuse du soleil ou l’énergie chimique de substances minérales.

Photosynthèse: Procédé des plantes vertes et de certains microbes utilisant l’énergie de la lumière du soleil, de l’eau, du CO2 et des minéraux pour fabriquer des sucres nécessaires à la cellule. Ce processus libère de l’O2.

Zooplancton: Animaux microscopiques qui mangent des microbes. Les animaux du zooplancton sont des consommateurs primaires.

Consommateur primaire: Consommateur qui se nourrit de producteurs primaires.

Absorption du carbone: Processus par lequel le carbone est attiré au fond de l’océan lorsque des aliments ou des animaux coulent (appelés « neige marine »), éliminant ainsi le carbone de la surface de l’océan.

Exopolymères (TEP): Grosses molécules produites par des microorganismes comme les bactéries et qui les aident à s’accrocher à des surfaces et à se protéger.

Conflit d’intérêts

Les auteurs déclarent que les travaux de recherche ont été menés en l’absence de toute relation commerciale ou financière pouvant être interprétée comme un potentiel conflit d’intérêts.


Références

[1] Whitman, W. B., Coleman, D. C. and Wiebe, W. J. 1998. Prokaryotes : The unseen majority. Proc. Natl. Acad. Sci. U.S.A. 95: 6578–83.

[2] Bar-On, Y. N., Phillips, R., and Milo, R. 2018. The biomass distribution on earth. Proc. Natl. Acad. Sci. U.S.A. 115:6506–11. doi: 10.1073/pnas.171184211

[3] IPCC. 2018. “Summary for policymakers,” in Global Warming of 1.5°C. An IPCC Special Report on the Impacts of Global Warming of 1.5°C Above Pre-industrial Levels and Related Global Greenhouse Gas Emission Pathways, in the Context of Strengthening the Global Response to the Threat of Climate Change, Sustainable Development, and Efforts to Eradicate Poverty, eds V. Masson-Delmotte, P. Zhai, H. O. Pörtner, D. Roberts, J. Skea, P. R. Shukla, et al. (Geneva: World Meteorological Organization). p. 32.