Résumé
Le système immunitaire a la tâche difficile de faire la différence entre les microbes qui sont potentiellement dangereux pour nous et ceux qui nous sont bénéfiques. Des réponses immunitaires correctes sont essentielles pour nous maintenir en bonne santé, mais elles peuvent parfois se dérégler et nous rendre malades. La plupart de nos connaissances sur le fonctionnement du système immunitaire sont récentes, mais le domaine de l’immunologie est issu du travail pionnier du docteur Edward Jenner et ses efforts pour vacciner les gens contre la variole. Cet article présente un sujet très compliqué mais aussi très important : comment notre système immunitaire reconnaît le danger et y répond de manière appropriée, le tout sans se dérégler. On t’explique la différence entre les microbes dangereux des microbes utiles, l’influence des vaccins sur notre santé et notre compréhension de l’immunologie dans son ensemble. Il met en lumière le rôle central de cellules particulières du système immunitaire, appelées « lymphocytes T auxiliaires », pour une réponse immunitaire appropriée.
L’inconnu – souvent plus de peur que de mal
Nous vivons dans un monde rempli de créatures trop petites pour être vues sans un microscope, les microbes. Ce sont en particulier les bactéries, les archées, des champignons, des algues, des parasites ou encore les virus, et certains d’entre eux aiment vivre sur ou dans le corps humain. La plupart des microbes sont inoffensifs, voire utiles. Par exemple, les bactéries dans notre intestin nous aident à digérer certains aliments que, sans elles, nous serions incapables de digérer. Vivre avec des microbes n’est pas seulement normal, c’est nécessaire pour être en bonne santé. Les cellules de notre peau, de nos voies respiratoires et de la paroi de notre intestin forment des barrières pour protéger notre corps. Mais des microbes normalement inoffensifs peuvent provoquer des infections dangereuses s’ils pénètrent plus profondément dans notre corps. Les cellules de notre peau, celles qui tapissent nos voies respiratoires ou nos intestins forment des barrières empêchant l’entrée des microbes dans notre corps. Mais ces barrières sont parfois franchies par des microbes, en particulier si une barrière est abîmée : c’est pour ça que, quand on se blesse, il faut bien nettoyer une la plaie et la garder propre jusqu’à ce qu’elle guérisse. Il y a aussi quelques microbes qui sont capables de franchir ces barrières même si elles ne sont pas endommagées. C’est pourquoi nous avons besoin de nous défendre. Défendre notre corps contre les infections est une partie importante des missions de notre système immunitaire.
Ami ou ennemi ?
Le système immunitaire est composé de différents types de cellules spécialisées, c’est-à-dire qui ont chacune des fonctions particulières, et d’un réseau de communication entre ces cellules qui émettent des signaux et les reçoivent grâce à des détecteurs, appelés récepteurs. Ils recouvrent la surface des cellules du système immunitaire et leur permettent de détecter ce qui les entoure. À tout moment, des milliers d’informations sont reçues par une cellule immunitaire. L’interprétation de ces signaux est essentielle pour que la cellule y réponde correctement. Comme ton cerveau reçoit des signaux du monde qui t’entoure grâce à tes quatre sens (la vue, l’odorat, le toucher ou l’audition), les cellules immunitaires perçoivent leur environnement à chaque instant, et, on l’espère, y répondent correctement.
Les dangers sont rares, et la plupart du temps ce n’est pas nécessaire d’activer le système immunitaire. Les scientifiques qui étudient le système immunitaire pensaient jusqu’à récemment qu’il n’y avait quasiment pas d’échanges de signaux en ces temps de paix, mais ils savent maintenant que des signaux sont reçus en permanence par le système immunitaire, même lorsqu’il n’y a pas de danger. En revanche, on sait beaucoup plus de choses sur les signaux perçus par le système immunitaire pour s’activer quand il y a danger car ces signaux sont beaucoup plus faciles à mesurer. Les signaux d’activation peuvent provenir des microbes, d’autres cellules du système immunitaire ou même de cellules qui n’en font pas partie. Quand un microbe dangereux pénètre dans notre corps, des cellules spécialisées, appelées « cellules présentatrices d’antigène » (CPA), ont pour mission de le détecter et de le capturer (Figure 1). Le microbe ainsi piégé est alors reconnu par des récepteurs présents sur d’autres cellules immunitaires. Comme il y a de très nombreux types de microbes et de cellules dans notre corps, il existe une multitude de signaux différents et de récepteurs capables de les reconnaître.
L’étude des cellules du système immunitaire et de leurs façons de recevoir des informations et d’y répondre s’appelle l’immunologie. La majorité de nos connaissances sur le système immunitaire ont été accumulées au cours des cinquante dernières années, mais le domaine de l’immunologie a émergé il y a plusieurs siècles, avec le concept de vaccination.
Les vaccins ont changé le monde
Avant la découverte de la vaccination, certains microbes très dangereux étaient extrêmement courants et tuaient beaucoup de gens. L’un des plus dangereux était le virus de la variole, nom venant du latin « variola » qui signifie « petite pustule », à l’image des vilains boutons infectés caractéristiques de cette maladie. Souvent, le système immunitaire des gens infectés ne pouvait pas combattre assez vite le virus de la variole et les gens mourraient. Des villages entiers étaient rapidement décimés et, à bien des égards, le virus de la variole a marqué l’histoire de l’humanité.
La situation a commencé à changer vers la fin du XVIIe siècle grâce aux observations faites par des médecins de campagne anglais [1]. Ils ont remarqué que les gens qui guérissaient d’une forme légère de la variole en étaient par la suite protégés. Ils ont aussi constaté que les personnes exposées à des vaches, en particulier les laitières qui les trayaient, attrapaient beaucoup moins la variole que ceux qui n’étaient pas en contact avec des bovins. Ils ont pensé que cette résistance à la variole venait peut-être du contact avec des lésions sur la peau des vaches qui ressemblaient beaucoup à celles de la variole humaine. Les lésions des vaches étaient dues à une autre forme de la variole, la variole bovine, et les gens qui attrapaient cette forme-là étaient par la suite protégés de la bien plus dangereuse variole humaine. Edward Jenner a alors fait une expérience très importante : il a prélevé le fluide d’une lésion chez une laitière qui avait attrapé la variole bovine, puis y a délibérément exposé un jeune garçon. Le jeune garçon est tombé malade, mais il a vite guéri et, par la suite, il a été protégé de la variole humaine. De nombreuses expériences de ce type ont servi de base à la vaccination. Alors que personne n’avait jamais observé de virus, même au microscope (il aura fallu attendre près de 200 ans pour ça), et alors qu’à cette époque on ne savait rien du système immunitaire, cette stratégie de vaccination a sauvé la vie de beaucoup de gens. En 1980, l’effort mondial de vaccination contre la variole a eu un tel succès que depuis, aucun cas de cette maladie n’a été enregistré dans le monde.
Des vaccins ont maintenant été mis au point pour protéger les gens d’autres infections virales et bactériennes. Des maladies autrefois très graves et provoquant la mort de nombreuses personnes, telles que la poliomyélite, la diphtérie et la rougeole, sont beaucoup plus rares aujourd’hui grâce aux vaccinations. Il a fallu pas mal de temps pour comprendre pourquoi exposer des gens à la variole bovine les protégeait de la variole humaine. Ce n’est pas fréquent que l’exposition à un virus protège les gens d’un autre virus. Mais comme ces virus sont de la même famille, ils se ressemblent suffisamment pour que la réponse immunitaire contre le virus de la variole bovine protège aussi de la variole humaine. Pour la plupart des vaccins, on utilise soit le microbe tué soit une partie non infectieuse de ce microbe. Actuellement, de très gros efforts sont déployés pour mettre au point des vaccins contre des microbes qui sont apparus récemment, comme les virus du SIDA, les virus Ebola et Zika. Certains virus, celui qui cause la grippe par exemple, évoluent rapidement, ce qui leur permet d’échapper au système immunitaire ; les scientifiques suivent ces changements, et peuvent ainsi adapter les vaccins à ces nouveaux virus.
Le système immunitaire a une mission compliquée
En voulant comprendre comment l’exposition à la variole bovine protégeait les gens de la variole humaine, on a découvert le système immunitaire. C’est pour cela que Edward Jenner est considéré comme le fondateur de l’immunologie. Il a fallu plusieurs décennies aux immunologistes pour comprendre comment le système immunitaire répond à une infection par un virus ou un autre agent infectieux (microbe responsable d’une maladie). Pour chaque type de microbe qui nous infecte, c’est un type spécifique de réponse immunitaire qui est efficace. Il est donc important pour le système immunitaire d’activer la réponse adaptée dans chaque situation. Pour cela, il dispose de plusieurs voies, dont chacune fait intervenir des ensembles de cellules spécialisées, les mieux adaptées pour combattre chaque type d’infection.
Par exemple, les virus ne transportent pas avec eux toute la machinerie nécessaire pour se reproduire. Pour se multiplier, ils doivent pénétrer dans une cellule dont ils détournent le fonctionnement à leur profit. Tous les virus dont tu as entendu parler sont adaptés à l’organisme qu’ils infectent : ils y trouvent des cellules qu’ils peuvent infecter et dont ils peuvent prendre le contrôle pour se répliquer et propager les nouveaux virus à d’autres cellules. Notre système immunitaire ne sait pas tuer des virus en dehors de cellules. Pour traiter efficacement une infection virale, les cellules immunitaires doivent tuer les cellules infectées avant que le virus n’ait eu le temps de se propager. Mais c’est une course dans laquelle le virus a une longueur d’avance, car il faut un certain temps au système immunitaire pour le détecter et activer suffisamment de cellules immunitaires pour éliminer toutes celles qui contiennent des virus. Et bien sûr, il est important que ce puissant mécanisme de destruction de cellules reste sous contrôle et ne se mette pas à détruire des cellules saines. La réponse du système immunitaire spécialisée dans le traitement des infections virales doit donc être très performante pour identifier les cellules qui contiennent des virus et ne tuer que celles-ci. Il est également très important de stopper cette réponse quand toutes les cellules infectées ont été éliminées. Cette mission est confiée à une autre voie du système immunitaire. La façon dont le système immunitaire gère cet équilibre entre la course pour devancer le virus et le retour au calme détermine notre état de santé et parfois même notre survie.
D’autres agents infectieux tels que des bactéries, des champignons microscopiques ou des parasites ont des besoins et des modes de vie très différents. Les réponses que le système immunitaire doit activer contre eux sont donc différentes de celles contre les virus. Il existe ainsi des cellules spécialisées dont la mission est de détecter quel est le type d’agent responsable de l’infection et de déclencher les réponses correctes pour lutter contre lui. Parmi ces cellules spécialisées, les lymphocytes T auxiliaires (TH pour leur nom anglais « T helper cells », qui veut dire « cellules qui aident ») sont des cellules particulièrement importantes.
Les lymphocytes t auxiliaires : chefs d’orchestre du système immunitaire
Les lymphocytes sont des cellules importantes du système immunitaire, produites à partir de cellules souches, dans le foie avant la naissance et dans la moelle osseuse ensuite. Les immunologistes classent les lymphocytes selon leur fonction. Les cellules TH ont à leur surface des récepteurs (TCR), qui sont différents d’une cellule à l’autre, permettant à chaque cellule TH de reconnaître un microbe spécifique. Ces récepteurs à la surface des cellules TH distinguent des petits morceaux de microbes liés à une molécule appelée « complexe majeur d’histocompatibilité de classe II » (CMH-II) à la surface des CPA. Imagine que chaque récepteur TCR est une serrure et qu’il n’existe qu’une seule clé ou un nombre très limité de clés (des antigènes présentés par les CMH-II à la surface des CPA) qui peuvent ouvrir cette serrure et provoquer une réponse immunitaire appropriée (Figure 2). C’est ainsi que les lymphocytes TH jouent un rôle central et essentiel dans l’immunité. Ils sont les grands communicateurs du système immunitaire et sont hautement qualifiés pour interpréter les signaux qui proviennent du reste de l’organisme. La détection correcte du type de danger et de son étendue et la communication de cette information aux autres cellules du système immunitaire sont la clé de toute bonne réponse immunitaire.
Lorsqu’elles sont activées, les cellules TH se divisent, ce qui augmente le nombre de cellules TH ayant la même spécificité, et ainsi la quantité de substances solubles produites par ces cellules, appelées « cytokines ». Ces cytokines sont les signaux envoyés par les cellules TH qui programment d’autres cellules pour lutter contre l’infection. Si tout se passe bien, la réponse immunitaire dirigée par les cellules TH élimine l’agent infectieux et donc le danger. C’est là qu’entre en jeu un autre type de cellules TH dont la mission est de calmer la réponse immunitaire. Cependant, une fois le microbe éliminé, quelques cellules TH spécifiques à ce microbe persistent dans l’organisme et vont en assurer la mémoire immunologique. La prochaine fois que le système immunitaire détecte ce microbe, sa réponse sera plus rapide et efficace. Cette mémoire immunologique contre la variole bovine, qui par chance était très similaire à la variole humaine, a permis le succès de la vaccination tentée par Edward Jenner. Cette découverte scientifique capitale a sauvé des millions de vies.
Beaucoup plus à apprendre
Tous les jours, les immunologistes font de nouvelles découvertes. Nous savons maintenant que le système immunitaire est actif en permanence, recueillant des informations et s’assurant qu’il n’y a pas de danger. Le système immunitaire peut aussi se dérégler. Une activité destructrice trop importante peut provoquer des allergies et des maladies auto-immunes ; une activité insuffisante peut favoriser des maladies chroniques et des cancers. Même s’il nous reste encore beaucoup à apprendre sur le fonctionnement du système immunitaire, des découvertes récentes ont déjà conduit à des traitements très efficaces pour de nombreuses maladies humaines, y compris certains cancers.
Lectures complémentaires sur “Frontiers for Young Minds”
Flores-Valdez, M. 2016. Why is it important to improve vaccines against latent tuberculosis ? Front. Young Minds 4:19. doi: 10.3389/frym.2016.00019
Tregoning, J. 2017. Flu, flu vaccines, and why we need to do better. Front. Young Minds 5:7. doi: 10.3389/frym.2017.00007
Davis, R., and Hollis, T. 2016. Autoimmunity : why the body attacks itself. Front. Young Minds 4:23. doi: 10.3389/frym.2016.00023
Tunnessen, N., and Hsieh, M. 2018. Eating worms to treat autoimmune diseases ? Front. Young Minds 6:32. doi: 10.3389/frym.2018.00032
Contributions à la version française
TRADUCTEUR : Catherine Braun-Breton (Association Jeunes Francophones et la Science, Montpellier, France)
ÉDITEUR : Ula Hibner (Association Jeunes Francophones et la Science, Montpellier, France)
MENTOR SCIENTIFIQUE : Valérie Zimmermann (IGMM, Montpellier, France)
JEUNE EXAMINATEUR : Benjamin, 14 ans. Benjamin est un garçon rusé et dynamique, intéressé par la science en général et l’informatique en particulier. Il aime faire du parkour avec ses copains et regarder des séries.
Glossaire
Microbes: ↑ Organismes microscopiques tels que les bactéries, les champignons, les virus et les parasites. On les trouve presque partout, y compris à l’intérieur et à la surface du corps humain.
Système immunitaire: ↑ Réseau complexe de cellules, tissus et organes qui protège l’organisme contre les microbes dangereux sans nuire aux microbes inoffensifs. Il aide à réparer toutes les blessures qui pourraient survenir.
Récepteur: ↑ Situées à la surface de cellules, ces molécules détectent des signaux provenant de l’environnement (dont des microbes) et les transmettent à l’intérieur de la cellule, ce qui modifie son comportement.
Cellules présentatrices d’antigène: ↑ Cellules spécialisées du système immunitaire qui détectent la présence de microbes, les capturent et les digèrent, puis présentent les petits morceaux du microbe à d’autres cellules du système immunitaire.
Vaccination: ↑ Méthode consistant à entraîner le système immunitaire à réagir plus rapidement à un microbe dangereux en l’exposant à une version moins dangereuse ou à une partie non infectieuse du microbe.
Lymphocyte T auxiliaire (TH): ↑ Cellule du système immunitaire spécialisée dans l’interprétation du type et du niveau de danger. Elle coordonne le reste de la réponse immunitaire en envoyant des signaux à d’autres cellules.
Complexe majeur d’histocompatibilité de classe II (CMH-II): ↑ Complexe de protéines à la surface de certaines cellules (appelées cellules présentatrices d’antigène) dont la fonction principale est d’exposer des antigènes qui sont ainsi reconnus par d’autres cellules immunitaires.
Mémoire immunologique: ↑ Réponse immunitaire plus rapide qui se produit dès la deuxième fois qu’un animal est infecté par le même microbe, le protégeant contre une nouvelle infection par ce microbe.
Conflit d’intérêts
Les auteurs déclarent que les travaux de recherche ont été menés en l’absence de toute relation commerciale ou financière pouvant être interprétée comme un potentiel conflit d’intérêts.
Références
[1] ↑ Brink, S. 2018. What’s the Real Story About the Milkmaid and the Smallpox Vaccine ? National Public Radio (U.S.). Available at: https://www.npr.org/sections/goatsandsoda/2018/02/01/582370199/whats-the-real-story-about-the-milkmaidand-the-smallpox-vaccine (Accessed: July 1, 2018).