Résumé
Les microbes vivent à peu près partout sur Terre : à l’intérieur et sur les animaux, sur les plantes, dans les sols et dans l’eau. Ils prospèrent également dans des espaces souterrains. Les grottes et les mines sont des écosystèmes souterrains souvent visités par les humains. De nombreux microbes intéressants se sont adaptés à ces conditions de vie difficiles, où il n’y a souvent pas beaucoup de nutriments disponibles et où les microbes rivalisent entre eux pour se nourrir. Certains produisent des antibiotiques, substances qui ne sont pas dangereuses pour les microbes qui les produisent mais qui tuent certains de leurs rivaux. Les humains utilisent des antibiotiques pour soigner des infections chez les êtres humains et les animaux. Mais de plus en plus des bactéries qui causent ces infections deviennent résistantes aux antibiotiques couramment utilisés et nous avons besoin d’en développer de nouveaux. Il est important de garder les grottes et les mines en bon état et de les protéger des dommages causés par les visiteurs afin de continuer à étudier les microbes qui vivent dans ces écosystèmes fascinants. Certains de ces microbes fabriquent probablement des antibiotiques encore inconnus qui pourraient guérir des maladies humaines !
Grottes et mines : un monde fascinant
Dans le livre Alice au pays des merveilles, Lewis Carroll écrit : « Alice ouvrit la porte et découvrit qu’elle menait à un petit passage, pas beaucoup plus grand qu’un trou de rat : elle s’agenouilla et regarda le long du passage dans le plus beau jardin que vous ayez jamais vu ». Les grottes et les mines sont comme le plus beau jardin d’Alice.
Visiter une grotte ou une mine nous donne accès à un monde fascinant, abondant en formations minérales colorées et étranges. Ces formations minérales se forment par évaporation de l’eau contenant des minéraux solubles, lorsque l’eau s’infiltre à travers le plafond d’une grotte, s’égoutte et s’évapore très lentement, pendant des milliers d’années. Suspendues au plafond (stalactites) ou s’élevant du sol (stalagmites) (Figures 1A–C), ces formations minérales prennent la couleur des minéraux dont elles sont formées.
Au début de l’âge de pierre, les humains se servaient de parois des grottes pour réaliser de merveilleuses peintures colorées figurant des animaux comme des bisons, des taureaux et des chevaux (Figure 2). Pablo Picasso a visité la grotte d’Altamira, en Espagne (Figures 2A, B). Il aurait dit, en se référant à l’art : « Depuis Altamira, tout est décadence ». Nous ne savons pas s’il a effectivement prononcé ces mots, mais le fait qu’on les lui attribue illustre à quel point l’art paléolithique est extraordinaire. Les parois décorées de la grotte de Lascaux, en France, sont tout aussi impressionnantes (Figures 2C, D). Cependant, il y a un autre aspect des grottes et des mines auquel les gens ne pensent pas souvent : elles hébergent un monde microscopique rempli de microbes, des formes de vie invisibles à l’œil nu qui existent partout. Ces microbes des cavernes recouvrent les minéraux, les peintures et les murs (Figure 3).
Communautés microbiennes dans les grottes et les mines
Les microbes sont partout sur Terre. On les trouve dans tous les environnements terrestres et aquatiques, des geysers bouillants à la banquise. Comment les communautés microbiennes peuvent-elles vivre et même prospérer dans les grottes et les mines ? Dans de nombreux cas, les microbes partagent des nutriments en se développant ensemble dans des biofilms. Ces structures complexes, qui s’attachent aux parois des grottes (Figure 3), sont constituées de plusieurs couches de micro-organismes différents. Les écosystèmes des grottes et des mines sont très pauvres en carbone organique, qui est la source d’énergie habituelle utilisée par les microbes. La plupart des microbes des cavernes étudiés jusqu’ici utilisent une large gamme de composés organiques comme source d’énergie, en particulier des glucides ou des acides aminés (les éléments constitutifs des protéines) et d’autres composés du carbone organique qui sont dissouts dans l’eau s’infiltrant dans la grotte à travers le sol. Ces composés dissouts suffisent à la croissance des microbes.
Les grottes qui n’ont pas été visitées par les humains sont des environnements vierges. L’apport de nutriments dans ces écosystèmes est faible et dépend de quantités limitées de composés organiques dissouts dans les eaux de ruissellement. Certains des microbes qui vivent dans ces grottes peuvent également utiliser comme source d’énergie des composés inorganiques comme le sulfure d’hydrogène, l’ammoniaque, l’hydrogène, le méthane ou le fer.
Par contre, les grottes visitées par les humains (que nous appellerons « grottes exposées ») sont majoritairement peuplées de microbes qui utilisent des substances organiques comme source d’énergie. Les grottes exposées sont ouvertes sur le monde extérieur, ce qui permet aux microbes qui se trouvent dehors d’entrer. Certains sont en suspension dans l’air et d’autres sont transportés par l’eau. Mais d’où viennent les substances organiques qui les nourrissent ? Des animaux peuvent trouver refuge à l’intérieur de ces grottes ouvertes. Les insectes, les rongeurs et les chauves-souris, par exemple, sont des sources de poils, de déchets (urine et crottes) et de cadavres, qui apportent tous du carbone organique dans la grotte. Les visiteurs humains laissent aussi leurs traces dans les grottes ouvertes. Ils y apportent beaucoup de matière organique (cellules de la peau, cheveux, fibres de vêtements, saleté, etc.). Cette matière organique modifie profondément l’écosystème de la grotte et favorise la croissance des microbes qui s’en nourrissent, au détriment de ceux qui ont des sources d’énergie inorganiques.
Les visiteurs et la lumière peuvent endommager les grottes
Les grottes d’Altamira et de Lascaux, deux des grottes exposées les plus célèbres, ont dû être fermées en raison de la détérioration croissante observée dans les peintures murales. C’était une conséquence de l’afflux de visiteurs et de l’éclairage artificiel. La lumière génère un problème bien connu dans les grottes exposées. Elle stimule la croissance de biofilms constitués de certains types de bactéries et d’algues [1, 2]. De vastes zones des murs, du sol et des formations minérales deviennent vertes à cause d’un pigment vert appelé « chlorophylle ». On le trouve dans les plantes ainsi que dans certaines algues et bactéries qui utilisent la lumière comme source d’énergie, comme le font les plantes. Ce vert est différent de celui des minéraux qu’on trouve dans les mines (Figure 1).
En regardant attentivement les parois d’une grotte exposée, on peut voir de minuscules taches de différentes couleurs (Figure 3). Ces taches sont des biofilms constitués de plusieurs types de microbes vivant ensemble et interagissant de diverses manières.
Microbes utiles et microbes dangereux
Selon l’Organisation mondiale de la santé, il existe une grave pénurie de nouveaux antibiotiques. Aujourd’hui, de nombreuses bactéries sont résistantes aux antibiotiques couramment utilisés, et leur nombre ne cesse d’augmenter. C’est pourquoi la recherche de nouveaux antibiotiques, qui peuvent être produits par certaines bactéries pour éliminer leurs concurrentes, est extrêmement importante [3]. Le genre bactérien Streptomyces compte plus de 800 espèces. De 1940 à 1980, ces bactéries ont été une source importante d’antibiotiques utilisés par les médecins. En fait, environ les deux tiers de tous les antibiotiques connus (streptomycine et tétracycline, par exemple) sont produits par des espèces de Streptomyces isolées des sols. Mais, malheureusement, aucun nouvel antibiotique n’a été récemment identifié dans les bactéries du sol [3].
Les chercheurs se tournent donc vers des écosystèmes autres que les sols pour trouver de nouveaux antibiotiques. Les scientifiques étudient des endroits encore peu explorés ayant une très grande biodiversité : les grottes et les mines sous la surface de la Terre. De nombreuses bactéries et champignons inconnus se trouvent dans ces écosystèmes, et certains d’entre eux produisent peut-être de nouveaux antibiotiques [1–4]. Ces bactéries pourraient inclure des espèces encore non étudiées de Streptomyces qui sont abondantes dans les grottes et les mines, ainsi que d’autres microbes plus rares [5].
Des centaines de bactéries ont déjà été isolées des grottes et cultivées au laboratoire pour voir si elles produisent des antibiotiques. Des bactéries provenant de mines du sud du Portugal et d’Espagne ont également été étudiées. Plusieurs endroits, comme la grotte d’Altamira, des grottes volcaniques et des mines, se sont montrés riches en bactéries capables de produire des antibiotiques. En revanche, les bactéries isolées des grottes marines d’Algarve, au Portugal, étaient pratiquement inactives. Les grottes et les mines peuvent abriter des microbes différents, nous devons donc explorer autant d’écosystèmes souterrains que possible. Une fois que de nouvelles bactéries productrices d’antibiotiques auront été isolées, l’étape suivante consistera pour les scientifiques à identifier la structure chimique des antibiotiques et à étudier les gènes qui permettent aux bactéries de les produire.
Mais attention, les grottes et les mines n’abritent pas que des microbes utiles et producteurs d’antibiotiques. Deux nouvelles espèces bactériennes découvertes dans la grotte d’Altamira peuvent infecter les humains et provoquer des maladies [5]. Ainsi, visiter des environnements souterrains peut parfois être risqué pour notre santé.
Pourquoi se soucier des grottes et des mines ?
Les grottes et les mines sont des réservoirs de microbes, certains bénéfiques, d’autres dangereux. Heureusement, la nature nous fournit des bactéries bénéfiques productrices d’antibiotiques, qui nous aident à lutter contre les bactéries dangereuses pour notre santé. Bien sûr, les grottes et les mines sont des mondes souterrains fascinants que beaucoup de gens aiment visiter. Mais nous devons être conscients que pénétrer dans ces environnements peut présenter un risque à la fois pour les microbes qui y vivent et pour notre santé. Le travail assidu et l’ingéniosité des scientifiques nous aident à protéger ces écosystèmes souterrains et les microbes producteurs d’antibiotiques qui y vivent. Mais c’est la responsabilité de tous de trouver un équilibre entre le plaisir des visites et de l’exploration des grottes et des mines et le besoin de protéger ces écosystèmes uniques contre les dommages causés par les humains. C’est la condition pour continuer à trouver de nouveaux types de bactéries productrices d’antibiotiques, qui aideront à garder les gens en bonne santé dans le futur.
Financement
Le soutien financier pour la recherche dans les grottes et les mines a été obtenu à travers le projet 0483_PROBIOMA_5_E, cofinancé par le Fonds européen de développement régional dans le cadre du programme Interreg V-A Espagne-Portugal (POCTEP) 2014-2020.
Remerciements
Cet article est dédié à Paula Saiz Esnaola. Son esprit curieux et son intérêt pour la biologie et la géologie ont motivé cet article. Les données que nous ont fournies Irene Dominguez-Moãino et Jose Luis Gonzalez-Pimentel nous ont été très utiles. Je remercie Diana E. Northup, Jennifer J. Marshall Hathaway et Sonia Balasch et ses étudiants pour leurs précieux commentaires sur une version antérieure du manuscrit, ainsi que Manuel Aragón, de Nerva, en Espagne, pour les photos de la figure 1 et sa permission de les utiliser pour un article scientifique. L’auteur remercie la plateforme thématique interdisciplinaire Open Heritage : Research and Society (PTI-PAIS) du CSIC pour son soutien professionnel.
Contributions à la version française
TRADUCTEUR : Jean-Marie Clément (Association Jeunes Francophones et la Science, Montpellier, France)
ÉDITEUR : Catherine Braun-Breton (Association Jeunes Francophones et la Science, Montpellier, France)
MENTOR SCIENTIFIQUE : Ula Hibner (Association Jeunes Francophones et la Science, Montpellier, France)
JEUNES EXAMINATEURS :
Andéol & Kimiko, lycée Jules Guesde, 15-16 ans. Andéol et Kimiko sont élèves dans la classe de M. Benjamin Vuadelle au lycée Jules Guesde à Montpellier. Ils ont été très intéressés par les articles et par le rôle important qui leur a été confié dans l’évaluation de ces articles. Ils sont prêts à recommencer !
Classe de 2de A, lycée Fabre, 15-16 ans. Nous sommes Matéis, Daphné, Quentin, Noman, Félice, Romane, Ayaan, Anais, Lola, Hanaé, Mathilde, Rose-Aménis, Noham, Esteban, Adam, Kéziah, Youenn, Jade, Anais, Flaminda, Dorian, Louane, Elyne et Lucie de la classe de M. Serres au Lycée Fabre de Bédarieux, en France. Nous avons beaucoup apprécié de participer à ce projet de lecture et d’évaluation d’article scientifique.
Glossaire
Formations minérales: ↑ Les minéraux se forment lorsque la lave des volcans se refroidit lentement, ou par évaporation de solutions aqueuses pour former des stalactites et des stalagmites dans les grottes.
Microbe/micro-organisme: ↑ Organisme invisible à l’œil nu, comme les bactéries et certaines espèces de champignons et d’algues.
Carbone organique: ↑ Carbone présent dans les organismes vivants.
Composés inorganiques: ↑ Certains microbes obtiennent de l’énergie à partir de composés inorganiques, comme le sulfure d’hydrogène, l’ammoniaque ou l’hydrogène gazeux pour produire des glucides à partir du dioxyde de carbone.
Écosystème: ↑ Ensemble formé d’êtres vivants en interaction avec leur environnement.
Biofilm: ↑ Couche hétérogène de micro-organismes étroitement liés à des surfaces inertes et se développant en utilisant les nutriments environnants.
Chlorophylle: ↑ Pigment vert présent dans les plantes, les algues et certaines bactéries qui captent l’énergie du soleil pour la photosynthèse.
Antibiotique: ↑ Médicament qui tue spécifiquement les bactéries ou bloque leur croissance et leur multiplication, et qui est utilisé pour traiter les infections bactériennes.
Conflit d’intérêts
Les auteurs déclarent que les travaux de recherche ont été menés en l’absence de toute relation commerciale ou financière pouvant être interprétée comme un potentiel conflit d’intérêts.
Note de bas de page
1. ↑ Des visites virtuelles des grottes et des peintures sont disponibles ici : https://www.culturaydeporte.gob.es/mnaltamira/en/cueva-altamira/recorrido-virtual.html et https://archeologie.culture.fr/lascaux/fr.
Références
[1] ↑ Saiz-Jimenez, C., Cuezva, S., Jurado, V., Fernandez-Cortes, A., Porca, E., Benavente, et al. 2011. Paleolithic art in peril : policy and science collide at Altamira Cave. Science 334:42–3. doi: 10.1126/science.1206788
[2] ↑ Martin-Sanchez, P., Miller, AZ. and Saiz-Jimenez, C. 2015. “Lascaux cave : an example of fragile ecological balance in subterranean environments,” in Microbial Life of Cave Systems, ed A. S. Engel (Berlin: DeGruiter). p. 280–301.
[3] ↑ Martin-Pozas, T., Gonzalez-Pimentel, J. L., Jurado, V., Cuezva, S., Dominguez-Moñino, I., Fernandez-Cortes, A. et al. 2020. Microbial activity in subterranean ecosystems : recent advances. Appl. Sci. 10:8130. doi: 10.3390/app10228130
[4] ↑ Cheeptham, N., and Saiz-Jimenez, C. 2015. “New sources of antibiotics : Caves,” in Antibiotics. Current Innovations and Future Trends, eds S. Sánchez and A. L. Demain (Portland, OR: Caister Academic Press). p. 213–27. doi: 10.21775/9781908230546.12
[5] ↑ Jurado V., Laiz L., Rodriguez-Nava V., Boiron P., Hermosin B., Sanchez-Moral S., et al. 2010. Pathogenic and opportunistic microorganisms in caves. Int. J. Speleol. 39:15–24. doi: 10.5038/1827-806X.39.1.2