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Concept de base Biodiversité Publié le 4 octobre 2023

Ennemis mortels des bactéries : comment les bactériophages trouvent et éliminent leurs victimes

Résumé

Les bactériophages, également appelés « phages », sont des virus qui tuent les bactéries. Ils ne tuent pas les humains, les animaux ou les plantes. Les phages ne tuent qu’un ou quelques types de bactéries. Par conséquent, nous pouvons utiliser comme médicaments des phages qui ne tuent que les bactéries qui causent des maladies. L’utilisation de phages garantit que les bactéries utiles restent en vie. Comment les phages peuvent-ils tuer certaines bactéries et pas d’autres ? Ils reconnaissent des parties spécifiques d’une cellule bactérienne. Dans cet article, nous expliquons comment les phages trouvent leur bactérie cible, même en présence d’autres microbes.

Les phages sont partout autour de nous

La Terre abonde de bactéries et de virus qui les infectent ! Ces virus sont appelés « bactériophages » ou simplement « phages ». Il y a 10 fois plus de phages que de bactéries sur terre [1]. Les bactériophages sont amusants à observer car ils ont des formes différentes (Figure 1A). Certains ont une queue flexible, rigide ou très courte. D’autres ressemblent à des têtes flottantes ou même à de longues ficelles. Certains phages sont fabriqués à partir d’un ensemble d’instructions génétiques portées par lamolécule ADN, comme les bactéries ; d’autres phages sont fabriqués à partir d’ARN. Ces instructions sont logées en toute sécurité dans la tête du phage, qui est constituée de protéines (Figure 1A).

Figure 1 - Diversité des phages et leur mode d’attaque des bactéries.
  • Figure 1 - Diversité des phages et leur mode d’attaque des bactéries.
  • (A) Les phages ont de nombreuses formes. Ils peuvent avoir différents types de queues, (flexible, rigide, longue ou très courte) ou ne pas en avoir, ou encore ressembler à une ficelle (phage filamenteux). (B) Les phages attaquent les bactéries en les reconnaissant et en s’accrochant à la cellule bactérienne. Ensuite, le phage injecte son matériel génétique dans la bactérie, permettant ainsi la fabrication de nombreuses copies du phage, puis la cellule éclate, ce qui libère des centaines de nouveaux phages.

Les phages (comme tous les virus) ne peuvent pas se reproduire par eux-mêmes. Les virus ont toujours besoin d’une cellule à infecter – une cellule hôte – pour se reproduire. Les bactériophages utilisent des bactéries à cette fin. Ces pirates microscopiques commencent leur attaque en se collant à une cellule bactérienne. Ensuite, l’ADN ou l’ARN du phage pénètre dans la cellule et sert à la fabrication d’autres copies du virus. Combien de copies ? Des centaines ! Pour chaque cellule bactérienne attaquée, des centaines de nouveaux phages sont fabriqués. Ces copies sont libérées lorsque la cellule bactérienne explose (Figure 1B) [13]. Tout cela commence avec un seul phage. Ce processus se déroule dans le sol, les océans, et même dans ton propre corps !

Les humains utilisent ces ennemis naturels des bactéries pour le bien de tous. Par exemple, les phages peuvent être utilisés comme médicaments pour tuer les bactéries qui causent des maladies et qui sont résistantes aux antibiotiques, ce qui signifie que les antibiotiques habituellement utilisés ne marchent plus. Dans d’autres cas, les phages sont appliqués sur les surfaces de cuisson, de la viande ou différents produits alimentaires. Cela permet d’éviter que les bactéries susceptibles de provoquer de la fièvre et des diarrhées, comme la Salmonella et Listeria monocytogenes, ne se retrouvent sur nos aliments [2, 4]. Comme tu peux le constater, les phages sont des virus utiles. Ils nous aident à rester en bonne santé et à nous protéger des bactéries qui causent des maladies.

Les phages reconnaissent certaines bactéries et laissent les autres tranquilles

Même s’il existe de nombreux types de bactéries partout, les phages n’attaquent que certaines d’entre elles. Comment les phages savent-ils quelles bactéries tuer ? Ils sont pointilleux ! Chaque phage ne peut utiliser que certains types de bactéries comme hôtes. Les phages recherchent leurs hôtes en passant au crible tous les microbes qui les entourent. C’est comme jouer au jeu de puzzle Où est Charlie®. Pour trouver Charlie, il faut chercher un personnage portant des lunettes, des cheveux bruns, un bonnet rayé rouge et blanc, une chemise assortie et un jean bleu. Il peut y avoir d’autres personnages qui portent des tenues similaires ou des éléments de la tenue de Charlie, mais seul Charlie porte la tenue complète et correctement colorée. Les phages jouent une version microbienne de ce jeu avec les bactéries (Figure 2).

Figure 2 - Les phages trouvent leurs hôtes spécifiques grâce à une version microbienne du jeu Où est Charlie ?
  • Figure 2 - Les phages trouvent leurs hôtes spécifiques grâce à une version microbienne du jeu Où est Charlie ?
  • Les phages utilisent les récepteurs à la surface des cellules bactériennes pour reconnaître leurs hôtes, tout comme les joueurs d’Où est Charlie® reconnaissent Charlie à sa tenue. Arrives-tu à trouver la bactérie Charlie ?

Pour trouver leurs hôtes, les phages recherchent des parties spéciales de la bactérie. Ces parties reconnues par le phage sont appelées récepteurs [2]. Les récepteurs ont la même fonction que la tenue de Charlie dans Où est Charlie®. Ils permettent aux bactéries hôtes de se distinguer des microbes qui les entourent. Ainsi, les bactéries qui ne possèdent pas les bons récepteurs sont à l’abri des attaques des phages. Les récepteurs sont également les zones où le phage s’attache ou se colle à la bactérie au début de l’attaque.

Les récepteurs utilisés par les phages sont importants pour les bactéries

Quelles parties des cellules bactériennes sont utilisées par les phages comme récepteurs ? Cela dépend du phage ! Certains phages se collent aux flagelles, de longs filaments ondulés que la bactérie utilise pour se déplacer ; on dit qu’elle nage (Figure 3A). D’autres phages se collent aux sucres présents à la surface de la cellule bactérienne qui la protègent normalement des substances toxiques (Figure 3B). Des protéines présentes dans la membrane cellulaire de la bactérie, comme les protéines pompes, sont également utilisées comme récepteurs. La membrane cellulaire est la barrière qui permet à la cellule de maintenir sa forme, et des protéines qui agissent comme des pompes se débarrassent normalement des éléments qui peuvent nuire à la cellule ou la tuer (Figure 3C).

Figure 3 - Fonctions de certaines structures bactériennes que les phages utilisent comme récepteurs pour se fixer aux bactéries.
  • Figure 3 - Fonctions de certaines structures bactériennes que les phages utilisent comme récepteurs pour se fixer aux bactéries.
  • (A) Les flagelles des bactéries leur servent à se déplacer. Les bactéries qui se déplacent trouvent de la nourriture plus efficacement que celles qui ne se déplacent pas. (B) Certaines bactéries ont une capsule constituée de molécules de sucre, qui protège la bactérie des molécules toxiques présentes dans son environnement. Cette capsule peut aussi servir de récepteur pour des bactériophages. (C) Les pompes protéiques de la membrane d’une cellule bactérienne peuvent également être utilisées comme récepteurs. Ces pompes expulsent les molécules toxiques de l’intérieur de la bactérie.

Même si nous ne mentionnons que ces trois récepteurs, sache qu’il en existe d’autres [2, 5]. Toutes les bactéries ne possèdent pas des sucres, des flagelles ou des pompes à protéines. Selon l’endroit où elles vivent, les bactéries peuvent avoir besoin d’autres parties spécialisées qui leur sont très utiles. Il est intéressant de noter que les parties qui rendent chaque type de bactérie unique sont celles que les phages reconnaissent. Ainsi, les récepteurs utilisés par les phages déterminent quelles bactéries sont leurs hôtes. Les phages peuvent avoir une gamme d’hôtes large ou étroite. Les phages à large spectre d’hôtes peuvent attaquer de nombreux types de bactéries. Les phages dont la gamme d’hôtes est étroite ne s’attaquent qu’à un ou deux types de bactéries.

Les bactéries peuvent se protéger des phages en supprimant ou en modifiant les récepteurs à leur surface. Cependant, cela a un coût pour les bactéries car les récepteurs jouent un rôle important dans les fonctions vitales des bactéries. Du point de vue de la bactérie, le rôle principal de ces récepteurs est de remplir ce rôle, et non de se rendre vulnérable aux attaques des phages. En supprimant ou en modifiant ses récepteurs, la cellule peut se retrouver dans l’incapacité de remplir certaines fonctions essentielles. Par exemple, les bactéries capables de se déplacer peuvent se rendre dans de nouvelles zones où il y a plus de nourriture, ce qui les avantage par rapport aux bactéries qui restent immobiles (Figure 3A). Si les bactéries changent et n’ont plus de flagelle, elles deviennent résistantes au phage, mais ne sont plus capables de se déplacer et de chercher de la nourriture. De même, si les protéines pompes ou les capsules disparaissent, la bactérie a plus de risque de mourir dans des environnements difficiles (Figures 3B, C). Malgré ces inconvénients, certaines bactéries modifient ou suppriment des récepteurs et évitent ainsi l’attaque des phages.

Mais attention ! Les phages peuvent aussi surmonter les défenses des bactéries. Ils peuvent apprendre à reconnaître une partie différente de la cellule ou un récepteur modifié. Mais comment y parviennent-ils ? Souvent par hasard. Lorsque de nouveaux phages sont fabriqués, certains sont différents du phage original qui a infecté la bactérie. Cela est dû à des mutations, c’est-à-dire des petits changements qui se produisent spontanément dans l’ADN ou l’ARN. Les mutations se produisent aussi dans les cellules bactériennes, animales et humaines. Elles procurent parfois des avantages. En fait, les humains peuvent marcher sur deux jambes grâce à des mutations. Chez les phages, ces mutations peuvent permettre d’infecter des bactéries qui, autrement, leur seraient résistantes. Ce cycle où les bactéries deviennent résistantes aux phages et où les phages surmontent cette résistance se répète sans cesse. Ainsi, les bactéries et les phages sont constamment en compétition les uns avec les autres [3, 5].

Pourquoi s’intéresser aux phages ?

Même si les virus sont souvent considérés comme mauvais, les phages sont des virus utiles que nous voulons avoir à portée de main. Ces ennemis naturels des bactéries sont extrêmement efficaces ! Nous pouvons donc les utiliser pour tuer les bactéries à l’origine de maladies et d’infections difficiles à traiter. Les phages ont déjà fait la une des journaux pour avoir sauvé des vies. Les bactériophages ont guéri des gens d’infections bactériennes du cœur, du cerveau et des voies urinaires. Ces infections sont causées par des bactéries dangereuses comme Pseudomonas aeruginosa ou Acinetobacter baumannii [5], qui deviennent rapidement résistantes à de nombreux antibiotiques. Certaines bactéries forment également des couches collantes appelées « biofilms », qui sont difficiles à pénétrer. Pour ces raisons, les antibiotiques ne sont pas toujours une option efficace pour le traitement. Les phages peuvent donc être le seul moyen de se débarrasser de ces infections dangereuses.

En utilisant des phages qui ne tuent que ces fauteurs de troubles, nous pouvons nous assurer que les bonnes bactéries de notre corps survivent. Nous devons étudier les phages plus en détail, tout comme nous étudions les autres médicaments que nous utilisons. Ces études nous aideront à choisir les meilleurs phages à utiliser dans les traitements. En attendant, tu peux contribuer à faire connaître ces incroyables virus. La prochaine fois que tu entendras quelqu’un parler de virus, n’oublie pas de leur dire ce que tu sais sur les phages, ces bons virus qui peuvent aider à traiter les infections !

Remerciements

Nous remercions Connor Caswell et Nathalia Barajas Gonzalez pour leurs précieux commentaires sur une première version du manuscrit anglais.

Contributions à la version française

TRADUCTEUR : Catherine Braun-Breton (Association Jeunes Francophones et la Science, Montpellier, France)

ÉDITEUR : Ula Hibner (Association Jeunes Francophones et la Science, Montpellier, France)

MENTOR SCIENTIFIQUE : Joseph Chamieh (IBMM, Montpellier, France)

JEUNE EXAMINATEUR : Gaël, 8 ans. J’ai 8 ans, j’aime les sciences surtout la biologie parce que j’aime les animaux et les plantes. Je suis curieux et j’adore lire.

Glossaire

Bactérie: Microbe composé d’une seule cellule. On trouve des bactéries partout dans la nature ; elles peuvent provoquer des maladies mais la plupart sont bénéfiques.

Virus: Microbe qui, pour se reproduire, doit infecter une cellule.

Bactériophage: Virus qui infecte les bactéries.

Cellule hôte: Cellule qui héberge un micro-organisme, comme un virus, qui l’utilise pour se reproduire.

Résistance aux antibiotiques: Terme utilisé pour décrire la propriété de bactéries qui ne sont plus sensibles à l’action d’antibiotiques, médicaments normalement utilisés pour les tuer ou arrêter leur croissance.

Microbe: Organisme généralement invisible à l’œil nu. Les microbes comprennent les bactéries, les archées, des eucaryotes microscopiques (algues, champignons, parasites). et les virus.

Récepteur: Molécule située à la surface de cellules, qui peut être reconnue par un virus et permettre ainsi son entrée dans la cellule hôte.

Flagelle: Longs filaments mobiles qui font partie d’une cellule bactérienne et lui permettent de se déplacer. On dit alors que la bactérie nage.

Conflit d’intérêts

Les auteurs déclarent que les travaux de recherche ont été menés en l’absence de toute relation commerciale ou financière pouvant être interprétée comme un potentiel conflit d’intérêts.


Références

[1] Jurczak-Kurek, A., Gasior, T., Nejman-Faleńczyk, B., Bloch, S., Dydecka, A., Topka, G., et al. 2016. Biodiversity of bacteriophages : morphological and biological properties of a large group of phages isolated from urban sewage. Sci. Rep. 6:34338. doi: 10.1038/srep34338

[2] Stone, E., Campbell, K., Grant, I., and McAuliffe, O. 2019. Understanding and exploiting phage-host interactions. Viruses 11:567. doi: 10.3390/v11060567

[3] Koskella, B., and Brockhurst, M. A. 2014. Bacteria–phage coevolution as a driver of ecological and evolutionary processes in microbial communities. FEMS Microbiol. Rev. 38:916–31. doi: 10.1111/1574-6976.12072

[4] Kahn, L. H., Bergeron, G., Bourassa, M. W., De Vegt, B., Gill, J., Gomes, F., et al. 2019. From farm management to bacteriophage therapy : strategies to reduce antibiotic use in animal agriculture. Ann. N. Y. Acad. Sci. 1441:31. doi: 10.1111/nyas.14034

[5] Kortright, K. E., Chan, B. K., Koff, J. L., and Turner, P. E. 2019. Phage therapy : a renewed approach to combat antibiotic-resistant bacteria. Cell Host Microbe 25:219–32. doi: 10.1016/j.chom.2019.01.014