Résumé
La notion de « profil » ou de « style » d’apprentissage est peut-être l’un des mythes les plus répandus concernant les sciences de l’éducation. Il repose sur une hypothèse selon laquelle tous les apprenants pourraient être classés en fonction de leur profil d’apprentissage respectif, et que l’on apprendrait d’autant mieux que l’enseignement correspondrait à son style d’apprentissage privilégié. De nombreux chercheurs en sciences de l’éducation ont prouvé que cette croyance était certes populaire, mais fausse. La théorie des profils d’apprentissage réduit les processus sophistiqués et complexes que sont l’enseignement et l’apprentissage à des catégories simplifiées à l’extrême, tout en mettant les apprenants dans des « cases » risquant de limiter leurs potentiels. Des études réalisées par des spécialistes du cerveau et de l’éducation ont montré que l’apprentissage et l’enseignement ne se réduisaient pas à faire coïncider des méthodes d’enseignement et des soi-disant profils d’apprentissage.
Un style d’apprentissage, c’est quoi au juste ?
Tu as certainement déjà entendu des enseignants affirmer que les élèves avaient différents profils ou styles d’apprentissage, certains ayant un profil « visuel », c’est-à-dire préférant apprendre en regardant, lisant, etc., d’autres un profil « auditif », c’est-à-dire apprenant mieux en écoutant, et d’autres enfin un style « kinesthésique », apprenant donc de préférence en agissant. Tu as même peut-être déjà répondu à un questionnaire ou fait un test afin de déterminer ton propre profil. Beaucoup de personnes pensent aujourd’hui que nous pouvons tous être classés en fonction de tel ou tel profil d’apprentissage, et que nous apprenons mieux quand la méthode pédagogique correspond à notre style d’apprentissage préféré. Cette théorie a beau être très populaire, elle n’en est pas moins fausse, comme l’ont prouvé de nombreux neuroscientifiques . Toutefois, et malgré de multiples preuves, beaucoup d’éducateurs continuent à y croire [1]. Cette idée est un parfait exemple de neuromythe, c’est-à-dire de croyance populaire mais fausse sur la manière dont le cerveau fonctionne. Dans le présent article, nous allons t’expliquer pourquoi cette théorie est un neuromythe et pourquoi il peut s’avérer contre-productif d’y croire. Nous t’expliquerons aussi comment les neurosciences, discipline qui étudie le fonctionnement cérébral, nous permettent de mieux comprendre la complexité des processus de l’enseignement et de l’apprentissage.
En quoi la notion de profils d’apprentissage est-elle un neuromythe ?
Il faut savoir que la théorie des profils d’apprentissage ne repose sur aucune preuve scientifique. Cela n’empêche pas de nombreuses personnes, et parmi elles de nombreux enseignants, de croire à cette théorie. Il s’agit là certainement d’un des neuromythes les plus répandus [2]. Un groupe de recherche [3] a révélé que plus de 90% des membres du corps enseignant croient à ce concept, et un autre [4] que plus de 60% des enseignants pensent qu’un élève apprend mieux si la méthode pédagogique appliquée correspond à son style d’apprentissage.
Il semblerait que beaucoup de personnes croient facilement aux affirmations non fondées lorsque celles-ci donnent l’impression d’intégrer des informations liées aux neurosciences. La notion de profil d’apprentissage est un exemple d’outil pédagogique qui semble pertinent parce que certains éléments de la théorie sont en effet vrais.1 Ainsi, il est vrai que nous avons tous des préférences quant à notre manière d’apprendre. Présenter les contenus de plusieurs manières est une pratique pédagogique importante que les futurs enseignants apprennent pendant leur formation. Cependant, cela ne signifie pas qu’adapter l’enseignement au style d’apprentissage préféré d’un élève facilite sa compréhension des contenus dispensés, car ce n’est pas ainsi que le cerveau fonctionne.
En quoi le neuromythe des profils d’apprentissage est-il dangereux ?
Si on croit en ce neuromythe, cela peut être nuisible en ce sens qu’il réduit les processus complexes que sont l’enseignement et l’apprentissage à des catégories simplifiées à l’extrême, tout en mettant les apprenants dans des « cases » risquant de limiter leurs potentiels (Figure 1). Il est bien sûr séduisant de penser que les élèves pourraient apprendre plus facilement s’il suffisait de modifier les méthodes pédagogiques pour les faire coïncider avec leurs styles d’apprentissage respectifs. Sauf que la manière dont le cerveau traite les informations est beaucoup plus complexe que cela.
- Figure 1 - Cette infographie sur les façons dont apprend l’être humain montre que celles-ci ne peuvent pas être réduites à quelques catégories figées.
- Créé par Brendon Ehinger (http://ehinger.ca/). How do you learn? = Comment apprends-tu? = By seeing = Par la vue, By Listening = Par l’écoute, By doing = Par l’action, All of the above, and = Par tout ce qui précède, et.
Imagine un instant que tu croies que ton style d’apprentissage est le style visuel, c’est-à-dire que tu as plus de facilité à apprendre avec des contenus présentés visuellement. En cours d’anglais, pour améliorer ton expression orale et ton accent, tu vas donc lire et regarder de nombreux exemples écrits de conversations, et même la transcription phonétique des mots (manière d’écrire les mots selon leur prononciation), mais bien sûr, ta préférence supposée pour les informations visuelles ne va pas te permettre d’améliorer ta maîtrise orale de l’anglais. De nombreux mots vont continuer à te poser des problèmes de prononciation, et le jour où quelqu’un t’adressera la parole en anglais, tu auras du mal à le comprendre. Autrement dit, dans cette situation précise, ton supposé « style d’apprentissage visuel » ne t’aide pas à apprendre. L’apprentissage et la pratique d’une langue nécessitent l’usage coordonné de la vue, de l’écoute et de l’action—mais pas uniquement: la mémorisation, les émotions, la motivation, la réflexion et l’imagination jouent elles aussi un rôle important dans l’acquisition d’une langue [5]. Il est souvent impossible pour les enseignants de limiter leur enseignement à des styles d’apprentissage spécifiques – et c’est tant mieux, car cela pourrait s’avérer plus préjudiciable qu’utile et générer de nombreuses frustrations. C’est pourquoi nous demandons aux enseignants de considérer le neuromythe des profils d’apprentissage avec la plus grande prudence, aucune preuve scientifique ne venant étayer que les méthodes d’enseignement qui s’y réfèrent permettent réellement aux élèves d’apprendre mieux ni plus facilement.
En réalité, l’apprentissage est un processus interconnecté. Pour aller chercher n’importe quelle information dans notre mémoire, nous la traitons à travers de multiples sens, en associant ce que nous avons entendu, dit, retenu, vu, ressenti, les odeurs que nous avons senties, etc. Tu comprends donc que si les enseignants qui croient au mythe des profils d’apprentissage essaient de cantonner chaque élève à la « case » d’un profil donné, cela peut restreindre considérablement l’utilisation d’autres sens et processus nécessaires à l’apprentissage, et donc nuire à une bonne acquisition de nouveaux contenus par certains élèves.
Les neurosciences nous aident à comprendre la complexité des processus de l’enseignement et de l’apprentissage
C’est grâce aux neurosciences que nous comprenons de mieux en mieux la complexité des processus de développement et de modification du cerveau à mesure qu’il apprend. Il est important que les enseignants sachent que les recherches en neurosciences indiquent que l’apprentissage se fonde sur l’expérience et non sur de supposés styles d’apprentissage. Il est donc souhaitable qu’ils acquièrent certaines notions de neurosciences pour mieux enseigner une fois sur le terrain, face à des élèves. Durant leur formation, les futurs enseignants découvrent la notion de plasticité cérébrale, qui signifie que le cerveau est capable de s’adapter aux expériences. Il est donc souhaitable que les enseignants fassent faire des expériences nombreuses et variées à leurs élèves, mais aussi qu’ils tiennent compte de ce que les élèves savent déjà, de leurs aptitudes et de leurs intérêts. Les évènements que nous vivons au quotidien, ainsi que les cours auxquels nous assistons, créent des réseaux de neurones qui nous aident à nous remémorer ce que nous avons appris. Un réseau de neurones est un ensemble de neurones (cellules nerveuses) interconnectés. À sa naissance, l’être humain possède seulement un pourcentage réduit de ce réseau de neurones: la grande majorité du réseau va se créer au fil des expériences de sa vie.2 C’est par des découvertes et des pratiques significatives que les réseaux de neurones se renforcent et que les apprenants gagnent en confiance, en compétence, et en cohésion avec ce qu’ils apprennent. En réponse aux expériences, des neurones sont créés, qui finissent par s’assembler en réseaux capables de se spécialiser dans des fonctions telles que la maîtrise d’une langue supplémentaire. Pour résumer, à mesure que tu apprends de nouvelles choses, ton cerveau s’adapte en créant de nouvelles connexions, ce qui modifie le réseau des neurones. Apprendre nécessite du temps et de la pratique: pour apprendre, disons une nouvelle langue, plus tu la pratiqueras et plus tu seras en contact avec elle par tous tes sens, plus tu auras de facilité à traiter et à exécuter les compétences nécessaires, comme l’expression et la compréhension orales et écrites.
Conclusion: apprendre est un processus incroyablement complexe
Le neuromythe des profils d’apprentissage peut s’avérer très problématique dans la mesure où il fait de l’apprentissage et de l’enseignement des processus simplifiés à l’excès qui, pour cette raison, n’aident pas les élèves à apprendre plus efficacement. Bien que cette théorie séduisante se soit révélée fausse, beaucoup de personnes continuent à y croire: c’est un des neuromythes les plus répandus au sein du corps enseignant! Ce qu’il est important de retenir, c’est qu’apprendre implique des processus de réflexion et repose sur nos expériences. On sait que nos connaissances préalables, nos aptitudes et nos centres d’intérêt jouent un rôle essentiel dans l’apprentissage, pas un soi-disant « profil ». Les processus qui sous-tendent l’apprentissage, de même que la manière dont notre corps et notre cerveau sont interconnectés, sont multidimensionnels, et les scientifiques qui étudient la façon dont nous apprenons découvrent et apprennent eux-mêmes constamment de nouvelles choses sur la façon dont fonctionnent ces processus. Les apprenants doivent être exposés à des tâches diverses et avoir accès aux connaissances de différentes manières et sur différents supports. La manière dont les savoirs sont enseignés doit être pertinente, à la fois vis-à-vis de leur contenu (une nouvelle langue par exemple) et vis-à-vis de la personne qui veut les apprendre. Nous espérons t’avoir convaincu qu’enseigner dépasse largement le simple fait de faire coïncider un apprenant avec tel ou tel style d’apprentissage!
Glossaire
Profil Ou Style D’apprentissage: ↑ Il s’agit d’une théorie selon laquelle les apprenants peuvent être classifiés en fonction de leur profil d’apprentissage: visuel, auditif ou kinesthésique. D’après cette théorie, on apprendrait d’autant mieux que l’enseignement correspondrait à son style d’apprentissage.
Neuroscientifique: ↑ Un ou une scientifique qui étudie le cerveau et la façon dont il influe sur nos pensées et nos comportements.
Neuromythe: ↑ Croyance populaire mais erronée sur la façon dont le cerveau fonctionne.
Neurosciences: ↑ Domaine scientifique qui étudie la structure et le fonctionnement du cerveau et du système nerveux.
Plasticité Cérébrale: ↑ C’est la capacité du cerveau à former de nouvelles connexions neuronales, à s’adapter et à se modifier en fonction des expériences vécues.
Réseau de Neurones: ↑ Ensemble de neurones interconnectés.
Neurone: ↑ Cellule du système nerveux qui transmet des informations à d’autres cellules (nerveuses, musculaires ou glandulaires). Les neurones sont considérés comme les principaux composants du cerveau.
Multidimensionel: ↑ Complexe, constitué de plusieurs éléments.
Conflit d’intérêts
Les auteurs déclarent que les travaux de recherche ont été menés en l’absence de toute relation commerciale ou financière pouvant être interprétée comme un potentiel conflit d’intérêts.
Remerciements
Les auteurs remercient infiniment tous ceux qui ont contribué à la traduction des articles de cette collection afin de les rendre accessibles et compréhensibles aux enfants des pays non anglo-saxons, ainsi qu’à la Fondation Jacobs pour avoir octroyé les fonds nécessaires pour cette traduction.
Déclaration d’utilisation des outils d’IA
Tout texte alternatif fourni avec les figures de cet article a été généré par Frontiers grâce à l’intelligence artificielle. Des efforts raisonnables ont été déployés pour garantir son exactitude, notamment par une relecture par les auteurs lorsque cela était possible. Si vous constatez des problémes, veuillez nous contacter.
Notes de bas de page
1. ↑ Voir danielwillingham.com
2. ↑ Voir https://human-memory.net/brain-neurons-synapses/.
Références
[1] ↑ Riener, C. and Willingham, D. 2010. The myth of learning styles. Change. 42:32–35. doi: 10.1080/00091383.2010.503139
[2] ↑ Newton, P. M. 2015. The learning styles myth is thriving in higher education. Educ. Psychol. 6:1908. doi: 10.3389/fpsyg.2015.01908
[3] ↑ Dekker, S., Lee, N. C., Howard-Jones, P., and Jolles, J. 2012. Neuromyths in education: prevalence and predicators of misconceptions among teachers. Front. Psychol. 3:429. doi: 10.3389/fpsyg.2012.00429
[4] ↑ Dandy, L. and Bendersky, K. 2014. Student and faculty beliefs about learning in higher education: implications for teaching. Int. J. Teach. Learn. High. Educ. 26:358–80. Available online at: http://www.isetl.org/ijtlhe/
[5] ↑ Geake, J. 2008. Neuromythologies in education. Educ. Res. 50:123–33. doi: 10.1080/00131880802082518