Résumé
Par le passé, les chercheurs spécialistes du cerveau étudiaient le fonctionnement cérébral dans les laboratoires spécialisés d’universités et d’hôpitaux. Depuis peu, ils utilisent aussi des appareils mobiles et plus discrets que les personnes examinées peuvent porter sur la tête en dehors des laboratoires. Ces appareils permettent notamment aux chercheurs d’évaluer l’activité cérébrale des élèves pendant une journée de cours. Science-fiction ? Évolution alarmante de type « Big Brother » ? Le présent article expose ce que ces appareils peuvent faire – et ce qu’ils ne peuvent pas faire, notamment lire les pensées ! Nous y expliquons aussi comment ce genre de recherche peut vous être utile à toi et à tes camarades.
As-tu déjà entendu parler des ondes cérébrales ? Et as-tu une idée de ce que c’est ? Dans cet article, nous allons t’expliquer de quoi il s’agit, comment on peut les mesurer (en laboratoire ou en classe), et en quoi c’est intéressant de le faire.
L’électroencéphalogramme mesure l’activité électrique cérébrale
Les cellules du cerveau s’appellent les neurones, et chaque cerveau en compte environ 86 milliards. Elles sont très bavardes, un peu comme des élèves dans une classe ! Mais plutôt que d’utiliser des mots, elles communiquent grâce aux signaux électriques qu’elles génèrent. L’intensité de ces signaux croît et décroît comme les vagues vont et viennent: c’est pour ça qu’on les appelle « ondes cérébrales ». Les ondes cérébrales se mesurent à l’aide d’une méthode dénommée électroencéphalographie (EEG): pour cela, de petits détecteurs appelés électrodes sont placés sur le cuir chevelu de la personne examinée [1]. Généralement, toutes ces électrodes (il y en a jusqu’à 256 !) sont maintenues en place par une sorte de casque, mais des dispositifs mobiles récents intègrent un nombre bien inférieur d’électrodes dans des mini-casques très sophistiqués. L’EEG ne permet pas d’évaluer l’activité électrique d’un neurone isolé, car les courants électriques qu’il génère sont trop faibles. Ces signaux électriques ne peuvent être mesurés que quand plusieurs neurones les transmettent au même moment. Pense à un festival de musique réunissant des milliers de personnes: si une seule personne applaudit, le groupe qui joue sur scène ne l’entendra pas, mais si le public tout entier claque des mains en même temps, les musiciens l’entendront.
La vitesse des ondes cérébrales
La vitesse des ondes cérébrales varie. Les ondes lentes sont comparables aux grandes vagues de la mer qui remuent les bateaux de haut en bas, tandis que les ondes rapides ressemblent aux petites ondulations qui se produisent à la surface de l’eau. À l’électroencéphalogramme (dont l’abréviation est également EEG), on enregistre une combinaison d’ondes cérébrales rapides et lentes se produisant dans le même temps.
Bon, très bien te dis-tu, mais en quoi est-ce intéressant ? Pour le comprendre, imagine-toi tôt le matin, dormant encore à moitié et avec l’esprit un peu brumeux. Si on mesurait tes ondes cérébrales à ce moment-là, on s’apercevrait qu’elles sont relativement lentes. Maintenant, imagine que tu es en train de passer un examen à l’école et que tu es très concentré. Dans cette situation, un EEG enregistrerait des ondes cérébrales plus rapides. Ces exemples te montrent que la vitesse des ondes cérébrales, appelée fréquence, est liée à l’état d’esprit dans lequel on se trouve. L’EEG permet d’identifier différentes gammes de fréquences. Par exemple, la gamme delta correspond à des ondes cérébrales relativement lentes qui montent et descendent 1 à 4 fois par seconde, c’est-à-dire à 1 à 4 Hertz (Hz), le Hertz étant l’unité de mesure de la fréquence. La Figure 1 donne un aperçu des gammes de fréquences (également appelées bandes de fréquence) et de leur lien avec notre état d’esprit.
- Figure 1 - Elle montre les bandes de fréquences lentes et rapides mesurées à l’EEG et le rapport qu’elles entretiennent avec l’état d’esprit.
- La fréquence des ondes cérébrales, qui représente le nombre d’ondes par seconde, est évaluée en Hertz (Hz). Deep sleep = Profondément endormi, Drowsy = Somnolent, Relaxed = Détendu, Focused = Concentré.
Au-delà de la vitesse: les potentiels liés aux événements
Les bandes de fréquences ont beau être très intéressantes, leur analyse ne permet pas de répondre à toutes les questions, par exemple sur la façon dont notre cerveau décode les mots qu’il entend ou comment il contrôle les réactions impulsives, en t’empêchant par exemple d’exploser quand ta petite sœur t’énerve. Pour cela, les chercheurs analysent autrement les ondes cérébrales: ils calculent les potentiels liés aux événements (PLE). Ce terme désigne les réactions cérébrales électriques liées à certaines activités comme lire un mot ou contrôler ses pulsions. Avec cette méthode, ce qu’on examine, ce sont les parties du signal de l’EEG causé par ces événements spécifiques. Pour y avoir recours, on enregistre l’EEG pendant que le participant exécute une tâche informatisée spécialement conçue pour permettre l’analyse d’une fonction cérébrale donnée comme la maîtrise des pulsions.
Voici un exemple de ce type de tâches informatisées, ici la tâche « Go/No Go » (Figure 2). Le participant est assis devant un écran. Une par une, différentes lettres apparaissent sur l’écran. Un « X » signifie « appuyer sur le bouton » (Go !) et un « O » signifie « NE PAS appuyer sur le bouton » (No Go !). Dans cette tâche, comme le « X » apparaît plus fréquemment que le « O », les participants se préparent automatiquement à appuyer sur le bouton dès qu’une lettre apparaît sur l’écran, mais ils doivent contrôler leurs pulsions pour ne pas appuyer au cas où ce serait un « O » qui s’afficherait. Une fois la tâche terminée, les chercheurs analysent l’EEG enregistré pendant qu’apparaissaient des « X » et des « O » à l’écran. À ton avis, quelle est la lettre qui les intéresse le plus ?
- Figure 2 - Illustration de la tâche Go/No Go.
- Les lettres X et O apparaissent l’une après l’autre sur un écran. Les participants doivent rapidement appuyer sur le bouton quand c’est un X et NE PAS appuyer lorsque c’est un O. Comme les X sont beaucoup plus fréquents que les O, il n’est pas facile pour les participants d’inhiber leur impulsion d’appuyer sur le bouton lorsque c’est un O qui s’affiche à l’écran.
Tu l’as sans doute deviné: les chercheurs s’intéressent aux réponses enregistrées par l’EEG quand un « O » apparaissait, car alors, la personne devait contrôler son impulsion pour ne pas appuyer sur le bouton. Pour étudier la réponse du cerveau face aux « O », les scientifiques isolent la réponse enregistrée dans l’EEG à chaque apparition d’un « O », puis calculent la moyenne de toutes ces réponses. La réponse moyenne de l’EEG à cet événement spécifique constitue le PLE, qui reflète les efforts fournis par le cerveau pour maîtriser une impulsion. On peut imaginer le processus de calcul du PLE comme un genre de tamis qui filtre tous les signaux inutiles de l’EEG pour ne laisser que ceux qui intéressent le plus les chercheurs.
Les limites des expériences en laboratoire
Les expériences menées sur les EEG et les PLE en laboratoire ont beaucoup appris aux scientifiques sur le fonctionnement cérébral. Elles sont généralement réalisées pendant que les participants exécutent des tâches informatisées conçues pour permettre l’évaluation de certaines fonctions cérébrales comme lire des mots, faire de l’arithmétique ou maîtriser ses impulsions. Mais les expériences en laboratoire sont assez différentes des activités que nous accomplissons réellement au quotidien.
Repense par exemple à la tâche « Go/No Go » qui permet d’étudier le contrôle des impulsions en faisant apparaître sur un écran des « X » et des « O ». Crois-tu que ce soit la même chose que contrôler ton impulsion de bouger ou de discuter avec un camarade pendant que le professeur vous donne des instructions ? Dans un laboratoire EEG, tu serais assis tout seul dans une pièce calme où tu exécuterais une tâche comme appuyer sur des boutons et, parfois, essayer de ne pas appuyer sur un bouton. Mais si ce type d’expérience de laboratoire nous renseigne sur la façon dont le cerveau gère les impulsions, que nous dit-il de la façon dont les élèves gèrent les leurs quand ils sont à l’école ? Tu vois ici les limites des expériences en laboratoire, dues au fait qu’elles mesurent l’activité cérébrale dans des situations assez artificielles [2].
Quelle utilisation pour les appareils eeg portables en classe ?
Un autre aspect du comportement humain est difficile à étudier en laboratoire: c’est la manière dont les individus – des élèves en classe par exemple – interagissent. En toute logique, les expériences en laboratoire sont extrêmement limitées pour répondre à cette question, mais les récents développements dans le domaine des appareils EEG portables permettent désormais aux scientifiques de mener des recherches sur le cerveau en dehors des laboratoires.
C’est exactement ce qu’une équipe des chercheurs de l’Université de New York a fait dernièrement [3]. Dans le cadre d’un partenariat avec un lycée local, ils ont mesuré l’activité cérébrale d’un enseignant et d’un groupe d’élèves pendant onze cours de biologie (Figure 3A). À chaque cours, les élèves participaient à diverses activités, faisant des exposés, regardant des vidéos éducatives ou participant à des discussions en groupe. Et ce que les chercheurs ont découvert, c’est que pendant ces activités pédagogiques, les ondes cérébrales des élèves étaient en synchronie, c’est-à-dire que leurs ondes cérébrales montaient et descendaient en même temps. Plus intéressant encore, les scientifiques ont constaté que les élèves les plus impliqués dans le cours étaient les plus synchronisés avec leurs camarades (Figure 3B).
- Figure 3 - (A) L’EEG peut être utilisé pour mesurer en classe les ondes cérébrales chez des élèves de lycée (selon Dikker et al. [3]).
- (B) Les ondes cérébrales des élèves peuvent être fortement synchronisées avec celles de leurs camarades, c’est le cas de ceux qui sont les plus actifs en classe (schéma de gauche). Chez les élèves qui participent moins au cours, la synchronie avec les autres élèves s’avère plus faible (schéma de droite).
Les appareils EEG portables sont un outil formidable, car on peut les utiliser non seulement dans la recherche, mais aussi dans l’enseignement. Dans « BrainWaves », un programme scolaire de neurosciences développé à l’Université de New York, les étudiants se servent de l’EEG pour découvrir leurs propres cerveaux et explorer le mode de fonctionnement des neurosciences. Par ailleurs, ils coopèrent avec un scientifique pour élaborer leurs propres projets de recherche en utilisant l’EEG, par exemple pour étudier comment le cerveau réagit face à des représentations de personnes célèbres ou inconnues, ou comment la musique agit sur la capacité de concentration.
Soulignons cependant que les appareils EEG portables ne sont pas conçus pour remplacer les recherches en laboratoire. Ils peuvent en revanche compléter ces dernières en fournissant des données sur les processus cérébraux dans des situations de la vie quotidienne. Mais les études sur le cerveau en milieu naturel comportent elles aussi des avantages et des inconvénients. La qualité des données recueillies par les EEG portables n’est pas aussi bonne que celle d’informations collectées en laboratoire, les appareils portables comportant beaucoup moins d’électrodes et les participants bougeant beaucoup plus. De plus, les chercheurs ne contrôlent pas les milieux extérieurs aux laboratoires, ce qui peut poser des difficultés d’interprétation des résultats obtenus.
Alors: science-fiction ou pas ?
Maintenant que tu as lu l’article jusqu’ici, que penses-tu de tout ça ? Est-ce que ça t’intéresserait de porter un EEG à l’école ou es-tu plutôt effrayé par cette idée ? Sache en tout cas, pour te rassurer, qu’à l’heure actuelle, ces appareils ne fournissent rien d’autre qu’une mesure générale de l’activité cérébrale et ne peuvent pas lire dans les pensées ! Il sera donc inutile de t’inquiéter pour ça si un jour on te propose de porter un de ces appareils pour une étude. Lire dans les pensées relève aujourd’hui encore de la science-fiction !
Certaines entreprises qui fabriquent et commercialisent de tels appareils affirment qu’ils peuvent être utilisés pour contrôler les élèves, en analysant la force des différentes ondes cérébrales et en les interprétant comme des preuves de concentration ou de distraction. Pour plusieurs raisons, nous pensons que ce n’est pas une bonne idée. Tout d’abord parce que nous devons encore mener beaucoup de recherches avant de bien comprendre ce que signifient les signaux des EEG en termes de fonctions cérébrales. Ensuite, parce qu’il n’est pas nécessaire que les élèves soient concentrés tout le temps: nous savons en effet que le cerveau a aussi besoin de temps de repos, et qu’avoir de temps en temps la tête ailleurs peut profiter à l’apprentissage [4].
Conclusion
Les appareils EEG portables offrent de formidables opportunités, comme celle d’étudier le fonctionnement cérébral en milieu naturel – en classe par exemple. Étudier le cerveau sur le terrain est particulièrement intéressant pour mieux comprendre les interactions sociales, les EEG portables pouvant servir à évaluer simultanément l’activité cérébrale de plusieurs personnes pendant qu’elles interagissent les unes avec les autres. Par ailleurs, ces appareils peuvent aider les élèves à mieux appréhender la manière dont le cerveau fonctionne. Mais la science avance à petits pas: laissons donc la possibilité de lire les pensées d’autrui aux récits et aux films de science-fiction et en attendant, demandons-nous si nous voulons vraiment qu’elle se réalise un jour [5].
Glossaire
Ondes Cérébrales: ↑ Cycles de courants électriques générés par les groupes de neurones activés au même moment.
Neurones: ↑ Cellules du cerveau qui communiquent entre elles par transmission de signaux électriques.
EEG: ↑ L’électroencéphalo-graphie (ou électroencéphalo-gramme) est une technique qui permet de mesurer l’activité électrique des neurones (signaux électriques transmis au même moment) d’une personne en plaçant un casque d’électrodes sur son cuir chevelu.
Électrodes: ↑ Dans le cadre d’un EEG, les électrodes sont des détecteurs placés sur le cuir chevelu d’une personne pour enregistrer les courants électriques produits par ses neurones cérébraux.
Fréquence: ↑ Vitesse d’une onde cérébrale, ou nombre de fois qu’elle monte et descend en une 1 seconde. La fréquence se mesure en Hertz (Hz); 1 Hz correspond à un cycle par seconde.
Bandes de Fléquence: ↑ Gammes de fréquences d’ondes cérébrales associée à un certain état d’esprit. Par exemple, les fréquences comprises entre 1 et 4 Hz sont appelées bande delta, une bande associée au sommeil profond.
PLE: ↑ Le potentiel lié aux événements (PLE) est évalué à l’aide de l’EEG. Ce terme désigne les réactions cérébrales électriques à certains événements spécifiques, comme la perception d’un son ou la lecture d’un mot. Pour explorer ces réactions, on demande au participant de faire un exercice informatisé au cours duquel l’événement qui intéresse les chercheurs est répété. Les parties du signal de l’EEG générées par cet événement répété sont pondérées (c’est-à-dire qu’on calcule leur résultat moyen). Cette pondération permet d’obtenir un résultat moyen à partir d’une activité cérébrale aléatoire, et la partie de l’EEG qui fournit ce résultat est le PLE.
Synchronie: ↑ Phénomène durant lequel des ondes cérébrales montent et descendent en même temps (de manière synchrone). Ce phénomène peut se produire au sein d’un seul cerveau (il s’agit alors d’ondes émises dans différentes régions cérébrales) ou dans les cerveaux de plusieurs personnes, auquel cas on parle de synchronie entre cerveaux.
Conflit d’intérêts
Les auteurs déclarent que les travaux de recherche ont été menés en l’absence de toute relation commerciale ou financière pouvant être interprétée comme un potentiel conflit d’intérêts.
Remerciements
Les auteurs remercient infiniment tous ceux qui ont contribué à la traduction des articles de cette collection afin de les rendre accessibles et compréhensibles aux enfants des pays non anglo-saxons, ainsi qu’à la Fondation Jacobs pour avoir octroyé les fonds nécessaires pour à cette traduction.
L’illustration de la Figure 2 est issue de Dikker et al. [3] (Droits d’auteur 2017 avec l’autorisation d’Elsevier).
Nous remercions aussi les membres et donateurs d’Emerging Field Group Portable Brain Technologies in Educational Neuroscience Research, financé par EARLI et la Fondation Jacobs. NA et TJ sont par ailleurs soutenus par une subvention de démarrage du Conseil européen de la recherche (#716736).
Le projet BrainWaves a été élaboré grâce au soutien du Programme Science Education Partnership de l’Institut national américain des sciences médicales générales (National Institute of General Medical Sciences).
Déclaration d’utilisation des outils d’IA
Tout texte alternatif fourni avec les figures de cet article a été généré par Frontiers grâce à l’intelligence artificielle. Des efforts raisonnables ont été déployés pour garantir son exactitude, notamment par une relecture par les auteurs lorsque cela était possible. Si vous constatez des problémes, veuillez nous contacter.
Références
[1] ↑ Biasiucci, A., Franceschiello, B., and Murray, M. M. 2019. Electroencephalography. Curr. Biol. 29:R80–5. doi: 10.1016/j.cub.2018.11.052
[2] ↑ van Atteveldt, N., van Kesteren, M. T. R., Braams, B., and Krabbendam, L. 2018. Neuroimaging of learning and development: improving ecological validity. Frontline Learn. Res. 6:186–203. doi: 10.14786/flr.v6i3.366
[3] ↑ Dikker, S., Wan, L., Davidesco, I., Kaggen, L., Oostrik, M., McClintock, J., et al. 2017. Brain-to-brain synchrony tracks real-world dynamic group interactions in the classroom. Curr. Biol. 27:1375–80. doi: 10.1016/j.cub.2017.04.002
[4] ↑ Immordino-Yang, M. H., Christodoulou, J. A., and Singh, V. 2012. Rest is not idleness: implications of the brain’s default mode for human development and education. Perspect. Psychol. Sci. 7:352–64. doi: 10.1177/1745691612447308
[5] ↑ Williamson, B. 2018. Brain data: scanning, scraping and sculpting the plastic learning brain through neurotechnology. Postdigit. Sci. Educ. 1:65. doi: 10.1007/s42438-018-0008-5