Résumé
Nous dormons tous. Alors que les adultes passent environ un tiers de leur temps endormis, les plus jeunes dorment bien plus en raison de leur âge. Toutefois, cela ne signifie pas que les enfants et les adolescents sont paresseux parce qu’ils passent plus de temps au lit. En effet, dormir trop peu entraîne généralement de la fatigue, un manque de concentration et rend moins efficace. Il est donc important d’éviter ces conséquences du manque de sommeil et d’accorder une grande priorité à un sommeil de qualité. Un bon sommeil revigore l’organisme et le cerveau en permettant à ce dernier de bien se réorganiser après une journée chargée. Dans cet article, nous expliquons pourquoi le sommeil est si important et quel est son rôle pour la mémoire. La capacité d’apprentissage, d’acquisition de nouvelles connaissances et de formation du cerveau est extraordinaire pendant l’enfance et l’adolescence. C’est pour cela que le sommeil est particulièrement important durant ces étapes de la vie. Nous présentons ici les liens entre le cerveau et les changements que connaît ton sommeil quand tu grandis, ainsi que l’importance de ce sommeil pour ta scolarité.
À l’approche d’un contrôle à l’école, on a souvent le sentiment d’avoir beaucoup de choses à apprendre, et trop peu de temps pour le faire. Mais alors, pourquoi passes-tu tant de temps au lit, alors que tu pourrais étudier ? Il peut sembler tentant de se coucher tard pour passer plus de temps à apprendre, mais le sommeil est vital pour ton corps et ton cerveau. Il te garde en bonne santé et te redonne de l’énergie pour que tu te sentes alerte et actif le lendemain. Le sommeil permet également au cerveau de remodeler et d’affiner sa structure ainsi que son fonctionnement selon tes besoins et tes expériences. Le sommeil est fondamental pour le développement général du cerveau et plus particulièrement pour la mémoire. Les scientifiques ont démontré que les activités cérébrales au cours du sommeil permettent d’enregistrer de nouvelles connaissances dans la mémoire et favorisent l’apprentissage le lendemain. D’où la nécessité de bien dormir plutôt que de passer des nuits blanches à l’approche des examens. Un bon sommeil est essentiel tout au long de la vie, il l’est d’autant plus pour les enfants et les adolescents dans la mesure où il permet de mieux remodeler le cerveau et de développer de meilleures capacités d’apprentissage.
Le cerveau en sommeil
En sommeil, le cerveau n’effectue pas toujours les mêmes tâches. Une bonne nuit de sommeil se divise en différentes phases déterminées par les mouvements musculaires et oculaires ainsi que par l’activité des petites cellules nerveuses du cerveau (appelées ‘’les neurones”). Les scientifiques mesurent cette activité en mettant de petits capteurs à côté des yeux d’une personne, sur son menton et sur sa tête pendant qu’elle est endormie (voir Figure 1). Parfois, les neurones agissent très rapidement et de manière chaotique comme lorsque le cerveau est éveillé et occupé. C’est ce qui se passe pendant le sommeil paradoxal ou sommeil REM (Rapid Eye Movement). Il s’agit d’une phase du sommeil au cours de laquelle les yeux effectuent des mouvements très rapides et où les muscles sont extrêmement détendus et le cerveau s’engage dans des rêves très vifs. Les autres phases du sommeil correspondent au sommeil sans mouvements oculaires rapides (non-REM). Au cours du sommeil léger non-REM, de courtes périodes de l’activité cérébrale appelées les fuseaux de sommeil sont observées (voir Figure 1). Pendant le sommeil profond non-REM, les neurones cérébraux présentent une activité rythmique lente, comme de grandes ondes dans l’océan (Figure 1), appelées ondes lentes. C’est pourquoi le sommeil profond non-REM est souvent identifié à un sommeil à ondes lentes. Les fuseaux de sommeil et les ondes lentes sont responsables du remodelage du cerveau. Ce qui signifie que plus ils sont présents, plus le cerveau est modelé.

- Figure 1 - Comment le sommeil se mesure-t-il ?
- (À gauche) Nous mesurons l’activité des neurones, des yeux et des muscles à l’aide de petits capteurs. (À droite) L’activité s’affiche sur l’écran d’un ordinateur avec des lignes ondulées. Pendant le sommeil léger sans mouvements oculaires rapides (zone rose), nous détectons des fuseaux de sommeil dans l’activité cérébrale. Au cours du sommeil profond sans mouvements oculaires rapides— aussi connu sous le nom de sommeil à ondes lentes, les muscles du menton se détendent (la ligne devient plus plate) et les courbes représentant l’activité cérébrale deviennent plus lentes et grandes (ondes lentes). Pendant le sommeil paradoxal avec mouvements oculaires rapides (zone bleue), l’activité musculaire est fortement réduite, l’activité cérébrale est plus rapide et les yeux commencent à faire des mouvements rapides en zigzag.
Le cerveau en reconstruction
Lorsque tu étais encore un nourrisson, tu passais plus de temps endormi qu’éveillé. Cependant, plus tu grandis, moins tu passes de temps à dormir. En effet, ce n’est pas uniquement le nombre d’heures de sommeil qui change au cours de la croissance, l’équilibre entre ses différentes phases change également. En général, plus tu vieillis, moins ton sommeil est à ondes lentes et plus la proportion de sommeil léger non-REM (sans mouvements oculaires rapides) augmente (Figure 2). Selon les scientifiques, ces changements dans le sommeil nous informent sur la capacité du cerveau à se reconstruire.

- Figure 2 - Comment le sommeil change tout au long de la vie.
- Plus les individus prennent de l’âge, moins ils dorment. En outre, l’équilibre entre le sommeil REM (avec mouvements oculaires rapides ou REM pour Rapid Eye Movement en Anglais) et le sommeil non-REM (sans mouvements oculaires rapides) varie pendant l’enfance et plus l’enfant grandit, plus son sommeil profond non-REM, aussi appelé «sommeil à ondes lentes», perd en importance (d’après Roffwarg et al. [1]. Reproduit avec l’autorisation d’AAAS).
De l’enfance à l’adolescence, le cerveau traverse une profonde réorganisation ainsi qu’une optimisation majeure afin de répondre aux besoins et aux expériences de la vie quotidienne. De nouvelles connexions entre les cellules cérébrales se développent. Les connexions inutiles sont supprimées et la transmission des informations entre les principales voies neuronales s’accélère. En effet, lorsqu’une partie spécifique du cerveau est en reconstruction, les neurones de cette région cérébrale présentent plus d’activités rythmiques lentes durant le sommeil à ondes lentes. Par exemple, en Suisse, des scientifiques ont enregistré le sommeil de 40 enfants et jeunes adultes, et évalué leurs performances lors de certaines tâches [2]. Curieusement, ils ont découvert que les ondes lentes du sommeil étaient plus puissantes dans les régions cérébrales responsables des compétences que les participants apprenaient à chaque âge. De plus, ces scientifiques ont constaté que ces ondes devenaient plus faibles une fois que la compétence était davantage développée. Par exemple, à la fin de l’enfance, lorsque les enfants deviennent aptes à effectuer des mouvements complexes comme faire du vélo, même avec les mains libres, les ondes lentes sont plus puissantes dans la région cérébrale responsable de la réalisation des mouvements. Les scientifiques ont également constaté cette optimisation dans la structure du cerveau lorsque les participants sont passés au scanner cérébral: la couche externe du cerveau appelée néocortex est plus fine dans ces régions. Cette observation reflète une sorte d’ajustement du cerveau afin d’effectuer des tâches avec plus d’efficacité. Ces relations entre les ondes lentes, les compétences et la structure du cerveau ont conduit les chercheurs à penser qu’observer les rythmes lents durant le sommeil pourrait nous aider à comprendre comment le cerveau se développe.
Contrairement aux ondes lentes qui diminuent lorsque le cerveau se développe, les fuseaux du sommeil léger non-REM (sans mouvements oculaires rapides) se multiplient et s’accélèrent durant l’enfance et l’adolescence. Certains scientifiques pensent d’ailleurs que l’augmentation des fuseaux de sommeil durant l’enfance et l’adolescence reflète une communication plus rapide et plus efficace entre les différentes parties du cerveau. Dans l’une de nos recherches, nous avons découvert que les enfants qui ont présenté un grand nombre de fuseaux sur une période de sept ans ont obtenu de meilleurs résultats aux tests sur les capacités mentales entre 14 et 18 ans [3]. Malheureusement, nous en savons encore peu sur le rôle des fuseaux dans le développement du cerveau. C’est un domaine intéressant que les scientifiques essaient encore de comprendre.
Lenteur et régularité permettent de gagner la course
En observant le sommeil, nous comprenons comment le cerveau se développe pendant la croissance de l’enfant et l’apprentissage de nouvelles compétences comme le vélo. Toutefois, le sommeil assure une autre tâche très importante. Il te permet de former des souvenirs sur le long terme, comme ce que tu apprends à l’école.
Plusieurs expériences réalisées ont démontré que le sommeil peut t’aider à te souvenir des nouvelles choses que tu apprends. Certaines études ont même démontré que la mémoire peut s’améliorer grâce au sommeil, sans effort supplémentaire ! Afin de confirmer cette découverte, des chercheurs de l’Université de York ont appris de nouveaux mots à des enfants âgés de 7 à 12 ans le matin ou en soirée [4]. Lorsque les chercheurs ont effectué des tests sur la mémoire de ces enfants 12 heures plus tard, ceux qui avaient appris les mots en soirée et étaient allés se coucher se souvenaient de plus de mots que ceux qui étaient restés éveillés toute la journée. En effet, ils se souvenaient de plus de mots qu’avant d’aller se coucher. Comment cela est-il possible ?
Les scientifiques pensent que le cerveau dispose de deux systèmes d’apprentissage distincts : le système rapide et le système lent. Ces deux systèmes d’apprentissage peuvent être assimilés à la fable du lièvre et de la tortue de La Fontaine. Dans cette fable, le lièvre part à une vitesse folle dans sa course contre la tortue. Très satisfait de sa progression et convaincu de sa victoire, il se repose à mi-chemin de la course, ce qui permet à la tortue lente de le dépasser et de gagner la course. L’un des deux systèmes d’apprentissage du cerveau est comparable au lièvre : il te permet d’apprendre de nouvelles informations très rapidement en journée et donne une longueur d’avance aux informations dans la mémoire. Toutefois le second système d’apprentissage est plus lent et plus judicieux, comme la tortue, il associe avec soin les nouvelles informations aux choses que nous connaissons déjà. Ce système d’apprentissage lent est plus efficace à long terme car il nous aide à garder en mémoire de nouvelles informations à venir. Tout comme dans la fable, le système de mémoire de la «tortue» prend la relève lorsque le cerveau a la possibilité de se reposer.
Des études montrent qu’une région au fond du cerveau (l’hippocampe) a de l’avance dans l’apprentissage tout comme le lièvre, tandis que les couches externes du cerveau (le néocortex) agissent exactement comme la tortue (voir Figure 3). Au cours du sommeil à ondes lentes, l’hippocampe rapide répète les informations qu’il a apprises durant la journée et les communique au néocortex d’apprentissage lent. Beaucoup de scientifiques pensent que le cerveau produit une séquence très spécifique d’ondes lentes, de fuseaux de sommeil et d’ondes très rapides dans l’hippocampe. Ceci permet aux deux systèmes d’apprentissage de communiquer entre eux. Cette communication renforce les nouvelles connaissances encore fragiles et les rend durables en les associant aux connaissances plus anciennes déjà enregistrées dans le néocortex [5]. Des scientifiques en Belgique ont démontré que ce processus de renforcement de la mémoire peut même se produire pendant une sieste [6]. Ils ont enseigné à des enfants âgés de 8 à 12 ans des fonctions «magiques» pour des objets imaginaires (par exemple, un objet pouvait passer à travers les portes, un autre pouvait arrêter la pluie). Ils ont ensuite testé leur mémoire sur ces associations tout en mesurant l’activité cérébrale. Immédiatement après l’apprentissage, l’hippocampe a assimilé les fonctions apprises. Par la suite, la moitié des enfants ont fait une sieste de 90 minutes, tandis que l’autre moitié est restée éveillée. Lors d’un second test de mémoire, seuls les enfants qui avaient dormi ont présenté une activité cérébrale plus grande dans le néocortex lorsqu’ils devaient se souvenir de ce qu’ils avaient appris. Ainsi, même après une courte sieste, le système de la tortue lente peut remporter la course de la mémoire.

- Figure 3 - Comment le sommeil lent aide-t-il la mémoire ?
- L’hippocampe (partie marron), une petite structure au fond du cerveau, correspond au système d’apprentissage qui permet d’acquérir de nouvelles connaissances rapidement. Afin de s’assurer que ces nouvelles connaissances sont enregistrées dans le cerveau en toute sécurité, l’hippocampe les communique au néocortex d’apprentissage lent, qui correspond aux couches externes du cerveau (partie verte) pendant le sommeil. En produisant une séquence d’ondes lentes (ligne verte), les fuseaux de sommeil (ligne rose) et les ondes rapides (ligne marron) communiquent entre elles, ce qui permet aux nouvelles informations de se renforcer et de s’associer aux anciennes connaissances déjà présentes dans le cerveau.
Alors, dors bien et réveille-toi en pleine forme!
Il est désormais clair que dormir n’est pas une perte de temps, mais plutôt une nécessité. En effet, le sommeil permet de garantir la qualité de vos souvenirs ainsi que leur durabilité. Le sommeil est donc essentiel dans la réorganisation du cerveau au cours de ta croissance, alors que tu découvres le monde et que tu apprends de nouvelles choses. À long terme, les enfants qui dorment plus ont de meilleurs résultats à l’école, et de meilleures notes aux examens par rapport à ceux qui restent éveillés tard pour étudier [7]. Prends donc soin d’accorder une grande place au sommeil pendant ton emploi du temps afin de permettre à ton cerveau d’effectuer le gros du travail pendant que tu te reposes la nuit.
Glossaire
Les neurones: ↑ Ils désignent les petites cellules nerveuses du cerveau qui stockent et transfèrent des signaux et des informations.
Sommeil paradoxal ou sommeil REM (Rapid Eye Movement): ↑ C’est une phase du sommeil au cours de laquelle les yeux effectuent des mouvements rapides et où les muscles sont extrêmement détendus. Cette phase est souvent associée aux rêves vifs.
Les fuseaux de sommeil (Sleep Spindles): ↑ Ils représentent de courtes périodes d’augmentation de l’activité cérébrale qui, selon nous, favorisent une communication efficace entre les différentes parties du cerveau.
Le sommeil à ondes lentes (Slow-Wave Sleep): ↑ C’est la phase la plus profonde du sommeil non-REM (sans mouvements oculaires rapides ou «non-Rapid Eye Movement» en anglais) au cours de laquelle le cerveau présente une activité rythmique lente (ondes lentes). Elle est importante dans le stockage des souvenirs durables.
Le néocortex: ↑ Il renvoie aux couches externes du cerveau qui sont censées stocker les connaissances à long terme.
L’hippocampe: ↑ Il désigne une structure présente au fond du cerveau qui joue un rôle crucial dans l’apprentissage rapide de nouvelles informations.
Conflit d’intérêts
Les auteurs déclarent que les travaux de recherche ont été menés en l’absence de toute relation commerciale ou financière pouvant être interprétée comme un potentiel conflit d’intérêts.
Remerciements
Les auteurs remercient infiniment tous ceux qui ont contribué à la traduction des articles de cette collection afin de les rendre accessibles et compréhensibles aux enfants des pays non anglophones ainsi que la Fondation Jacobs pour avoir octroyé les fonds nécessaires pour cette traduction. EJ a été soutenu par la bourse ESRC ES/T007524/1 ; BM et A-KJ ont été soutenus par le projet «Lifespan Rhythms of Memory and Cognition (RHYME)» au Centre de psychologie de la durée de vie, Institut Max Planck pour le développement humain de Berlin, en Allemagne. A-KJ est membre de L’école internationale de recherche Max Planck sur le Cycle de vie (LIFE ; https://www.imprs-life.mpg.de/en).
Déclaration d’utilisation des outils d’IA
Tout texte alternatif fourni avec les figures de cet article a été généré par Frontiers grâce à l’intelligence artificielle. Des efforts raisonnables ont été déployés pour garantir son exactitude, notamment par une relecture par les auteurs lorsque cela était possible. Si vous constatez des problémes, veuillez nous contacter.
Références
[1] ↑ Roffwarg, H. P., Muzio J. N., and Dement W. C. 1966. Ontogenetic development of the human sleep-dream cycle. Science 152:608.
[2] ↑ Kurth, S., Ringli, M., LeBourgeois, M. K., Geiger, A., Buchmann, A., Jenni, O. G., et al. 2012. Mapping the electrophysiological marker of sleep depth reveals skill maturation in children and adolescents. Neuroimage 63:959–65. doi: 10.1016/j.neuroimage.2012.03.053
[3] ↑ Hahn, M., Joechner, A.-K., Roell, J., Schabus, M., Heib, D. P., Gruber, G., et al. 2019. Developmental changes of sleep spindles and their impact on sleep-dependent memory consolidation and general cognitive abilities: a longitudinal approach. Dev. Sci. 22:e12706. doi: 10.1111/desc.12706
[4] ↑ Henderson, L. M., Weighall, A. R., Brown, H., and Gaskell, M. G. 2012. Consolidation of vocabulary is associated with sleep in children. Dev. Sci. 15:674–87. doi: 10.1111/j.1467-7687.2012.01172.x
[5] ↑ Wilhelm, I., Prehn-Kristensen, A., and Born, J. 2012. Sleep-dependent memory consolidation–what can be learnt from children? Neurosci. Biobehav. Rev. 36:1718–28. doi: 10.1016/j.neubiorev.2012.03.002
[6] ↑ Urbain, C., De Tiège, X., De Beeck, M. O., Bourguignon, M., Wens, V., Verheulpen, D., et al. 2016. Sleep in children triggers rapid reorganization of memory-related brain processes. Neuroimage 134:213–22. doi: 10.1016/j.neuroimage.2016.03.055
[7] ↑ Gillen-O’Neel, C., Huynh, V. W., and Fuligni, A. J. 2013. To study or to sleep? The academic costs of extra studying at the expense of sleep. Child Dev. 84:133–42. doi: 10.1111/j.1467-8624.2012.01834.x