Résumé
Vous n’êtes pas seul et vous ne le serez jamais. Une multitude d’amis que vous ne pouvez pas voir à l’œil nu, mais qui contribuent à vous maintenir en bonne santé, vivent dans votre corps. Ce sont les héros bactériens de vos organes les plus fortement colonisés, vos intestins, qui vivent avec les méchants de l’intestin dans un équilibre fragile qui, lorsqu’il est perturbé, peut entraîner des maladies. C’était le cas d’un jeune garçon né avec un intestin anormalement court qui permettait une prolifération inhabituelle de méchants de l’intestin. Les symptômes de la maladie de ce garçon ont persisté même lorsqu’il a pris des antibiotiques (des substances qui tuent les bactéries). Ce n’est que lorsqu’on lui a donné des probiotiques – des acolytes bactériens qui aident à équilibrer les bonnes et les mauvaises bactéries intestinales – qu’il a retrouvé la santé. Bien que cette étude ait prouvé que les probiotiques peuvent nous rendre la santé dans le cadre de la lutte contre les bactéries intestinales, nous ne devons jamais oublier de prendre soin de nos héros de l’intestin : mangez des aliments sains et faites de l’exercice régulièrement.
Vous n’êtes pas seul !
Imaginez-vous seul dans votre chambre, jouant avec vos super-héros préférés. Dans ce jeu, vous parvenez à les aider dans une bataille très critique sans fin contre des méchants surnaturels. Vous et vos héros sauvez le monde ! Et ensuite ? Le jeu est terminé pour l’instant. Vous reculez d’un pas, regardez la pièce et vous vous sentez soudainement seul. Mais ce n’est pas nécessaire. Et si je vous disais que vous n’avez jamais été seul et que vous ne le serez jamais ? Comment vous sentiriez-vous si je vous disais que chacun d’entre nous a des milliards de héros qui vivent avec nous en permanence (Figure 1) ? Il y a un micro-univers extrêmement vaste sur et dans nos corps qui sont remplis de héros microscopiques et de leurs acolytes. En ce moment, il n’y a peut-être personne dans votre chambre avec vous, mais il y a en fait de nombreuses créatures microscopiques dans votre corps qui sont toujours avec vous et qui mènent des batailles pour vous. Toutes ces créatures microscopiques, également appelées micro-organismes, sont les plus petits organismes vivants connus et sont des héros pour nous, même si nous ne pouvons pas les voir à l’œil nu. Ils sont si petits que nous avons besoin de microscopes pour les voir. Bien sûr, nous avons aussi des méchants dans les mêmes micro-univers et ces méchants sont prêts à combattre à chaque minute contre nos héros. Des milliards de micro-organismes luttent pour nous même si nous ne les reconnaissons pas, et toutes les batailles concernent notre santé.
- Figure 1 - Vous n’êtes pas seul.
- Les organes humains, notamment les poumons, les intestins, la bouche et les fluides corporels comme la salive contiennent une incroyable diversité de micro-organismes, illustrés dans cette figure. Tous les types de bactéries présentés ici ont des structures différentes et vivent ensemble dans les poumons, les intestins et les fluides corporels.
Nous sommes entourés de micro-organismes. Ils résident sur ou dans de nombreuses parties de notre corps, notamment la peau, les glandes mammaires, le placenta, les poumons, la salive et la bouche (Figure 1). Cependant, les intestins sont de loin l’organe le plus colonisé chez l’homme : ils contiennent plus de 70 % de tous les micro-organismes du corps [1]. Ces micro-organismes vivant dans l’univers des intestins (que l’on appelle aussi le microbiote intestinal) peuvent être bénéfiques ou dangereux pour les personnes.
Dans cet article, nous allons raconter l’histoire de quelques héros du microbiote intestinal qui ont reçu l’aide de leurs acolytes pendant qu’ils combattaient les méchants dans les intestins d’un jeune garçon, pour ramener sa santé à la normale. Nous répondrons également à plusieurs questions, notamment sur la manière dont le microbiote intestinal influence la santé humaine, sur son rôle dans l’organisme et sur la manière dont il nous aide à faire face aux situations malsaines.
Microbiote intestinal = héros et méchants
Ainsi, l’homme coexiste et interagit en permanence avec le microbiote intestinal, qui se compose de plus d’un trillion de bactéries. Si vous pensez à votre corps comme à un super-organisme composé de cellules humaines et de cellules bactériennes, votre microbiote intestinal représente 90 % du total des cellules de ce super-organisme ! Le microbiote intestinal est composé de héros et de méchants. Les héros intestinaux sont les micro-organismes bénéfiques qui ont des rôles critiques dans les intestins humains : ils aident à la digestion, fournissent des nutriments essentiels, aident le système immunitaire et combattent les intoxications alimentaires et les maladies [1]. Ces héros sont en trêve permanente avec les méchants, également connus sous le nom de pathobiontes. L’interaction entre les micro-organismes bénéfiques et pathogènes de l’intestin est extrêmement critique pour la santé humaine, et l’équilibre est assez fragile. Malheureusement, dans certaines conditions, lorsque la trêve est violée, les pathobiontes peuvent nous nuire et provoquer des maladies.
La trêve est contrôlée strictement par plusieurs groupes de bactéries bénéfiques. Les bactéries appelées Firmicutes et Bacteroïdetes sont les groupes dominants dans l’intestin. Dans une moindre mesure, les protéobactéries et les actinobactéries sont également des acteurs majeurs dans les intestins humains [2]. Les proportions de ces quatre types de bactéries sont importantes pour la santé humaine. Plusieurs facteurs de notre mode de vie moderne peuvent perturber les proportions de ces quatre groupes de bactéries et contribuer à la violation de la trêve, notamment l’utilisation d’antibiotiques et d’autres médicaments, et des causes alimentaires, telles qu’une trop grande quantité de sucre raffiné, d’aliments transformés, d’aliments pauvres en fibres digestibles, d’aliments contenant du gluten de blé et de certaines huiles de graines [3]. Lorsque ces substances sont consommées, les interactions entre le microbiote intestinal peuvent changer, et la modification des proportions des différents types de bactéries qui en résulte peut provoquer chez une personne des maladies gastro-intestinales, comme la diarrhée, la gastro-entérite, le syndrome du côlon irritable et les maladies inflammatoires de l’intestin [2]. Bien que de nombreuses études soient en cours pour comprendre les rôles exacts du microbiote intestinal, nous commençons tout juste à comprendre plusieurs choses : (i) comment le microbiote intestinal peut affecter notre santé ; (ii) à quel point le microbiote intestinal doit être en bonne santé ; et (iii) comment nous devons prendre soin du microbiote intestinal pour le garder en bonne santé.
Acolytes = probiotiques
Comme beaucoup de héros, tout héros du ventre a besoin d’acolytes. Dans le cas de la santé humaine, ces acolytes sont appelés probiotiques. Les probiotiques sont des micro-organismes vivants qui sont bons pour notre santé, notamment pour notre système digestif. Les probiotiques aident les héros de l’intestin en remplaçant les bactéries bénéfiques perdues, en équilibrant notre microbiote intestinal bon et mauvais, et donc en aidant à soigner toute maladie liée à la digestion. Les probiotiques ajoutent une autre couche de micro-organismes bénéfiques à ceux qui existent déjà. Les organismes probiotiques les plus connus sont le Lactobacillus rhamnosus et différentes espèces de Bifidobacterium. Nous avons en fait certains de ces organismes dans nos intestins, mais on les trouve aussi dans de nombreux aliments, comme le yaourt, le pain, le kéfir, le babeurre et le fromage blanc.
Dans certaines maladies, comme une otite ou une diarrhée, les médecins prescrivent des antibiotiques, qui sont un type de médicament qui tue les bactéries. L’utilisation d’antibiotiques aide les gens à combattre une mauvaise infection, mais ils peuvent aussi nuire au microbiote intestinal bénéfique. La prise d’un probiotique peut en fait aider à remplacer le microbiote intestinal bénéfique qui est tué par les antibiotiques, et ainsi à rétablir l’équilibre naturel du microbiote intestinal. De plus, les probiotiques peuvent préserver la santé des personnes en réduisant le nombre de bactéries pathogènes dans l’intestin [4]. Les probiotiques sont généralement sans danger, mais certaines personnes peuvent éprouver des effets secondaires, tels que des gaz, des ballonnements, des diarrhées et des problèmes cutanés et allergiques mineurs, qui sont généralement légers et de courte durée. Cependant, il est important de consulter un médecin en cas d’effets secondaires graves ou persistants.
Une défaite grâce aux acolytes
Les intestins humains ont à peu près la même surface qu’un terrain de tennis, mais ils sont tous enroulés pour tenir à l’intérieur de l’abdomen. Les intestins sont divisés en deux parties : l’intestin grêle et le gros intestin. L’intestin grêle est un tube d’environ 6 m de long et le gros intestin est plus court, mais beaucoup plus large. Les intestins sont des endroits parfaits pour la vie des microbes, en raison de la température constante et de la richesse des nutriments qui peuvent être utilisés comme nourriture par le microbiote intestinal. Chez certaines personnes, l’intestin grêle (également appelé petit intestin) peut être plus court et provoquer un trouble appelé syndrome de l’intestin court. Dans le syndrome de l’intestin court, l’intestin grêle ne fonctionne pas correctement, car il n’est pas assez long pour absorber correctement les nutriments. Le principal symptôme est la diarrhée, qui peut entraîner une déshydratation, une malnutrition et une perte de poids. Dans certains cas de syndrome de l’intestin court, certains des pathobiontes présents dans l’intestin peuvent se développer et provoquer une accumulation de molécules acides dans le sang. Ces molécules acides amènent les patients à souffrir de ce qu’on appelle l’acidose D-lactique, qui peut entraîner de graves dommages au système nerveux si elle n’est pas traitée correctement. Pour comprendre ce qu’est l’acidose D-lactique, pensons à la production du yaourt que vous pourriez manger à la maison. Le goût acide du yaourt non aromatisé résulte de la transformation contrôlée du lactose – un sucre présent dans le lait – en acide lactique, par des bactéries telles que le Lactobacillus. La quantité limitée d’acide contenue dans le yaourt n’est pas nuisible, mais l’accumulation incontrôlée de molécules acides dans la circulation sanguine des patients souffrant d’acidose D-lactique peut entraîner des symptômes tels que le délire, l’ataxie et des troubles de l’élocution.
Le jeune garçon de notre étude [4], qui est né avec un syndrome de l’intestin court, développait de temps en temps des symptômes d’acidose D-lactique, en raison de la prolifération des méchants Lactobacillus qui surpeuplaient son intestin grêle. Ces méchants sont presque inexistants chez les individus sains (Figures 2A, B). Les méchants de cette histoire n’ont pas pu être vaincus par les héros du microbiote intestinal et les symptômes du garçon ont persisté même lorsque ses médecins ont essayé de le défendre en administrant continuellement des antibiotiques.
- Figure 2 - Les changements dans le microbiote intestinal qui influencent la santé humaine.
- (A) Intestins sains avec une riche diversité microbienne et beaucoup de héros intestinaux (représentés dans différentes nuances de bleu). Les héros empêchent la propagation des méchants Lactobacillus (en rouge). Dans cette situation, les héros et les méchants du ventre sont dans une trêve équilibrée, mais fragile. (B) Intestins malsains avec une surpopulation anormale de méchants Lactobacillus (en rouge) dans l’intestin. (C) Rétablissement d’un microbiote sain par l’administration de probiotiques comme acolytes des héros intestinaux – une combinaison de Lactobacillus et de Bifidobacterium, représentés dans différentes nuances de vert. Ces acolytes aident à lutter contre l’abondance des méchants intestinaux et à les diminuer.
Nous étions dans une situation critique et, pour rétablir la santé du garçon, nous avions désespérément besoin de l’aide des acolytes. Ces acolytes sont rapidement devenus des légendes : les probiotiques multi-souches sans D-Lactate. Après seulement trois semaines d’administration quotidienne de ces probiotiques au garçon, le principal méchant à l’origine de ses symptômes a commencé à disparaître de ses intestins (Figure 2C). Après 323 jours de probiotiques, il n’y avait plus aucune trace détectable d’un quelconque méchant dans les selles (caca) du garçon. Aujourd’hui encore, le garçon est en bonne santé et ne présente pas d’épisodes d’acidose D-lactique. En résumé, nous avons réussi à aider les héros intestinaux en introduisant des acolytes pour les aider dans la lutte contre les méchants dans les intestins.
Soyez gentil avec les héros de l’intestin
Au cours de la dernière décennie, l’importance des héros de l’intestin est devenue un grand sujet de recherche en santé humaine. Cependant, seules quelques études ont examiné le microbiote des patients atteints du syndrome de l’intestin court. Avec notre étude, nous avons montré que, dans certaines situations malsaines, les héros de l’intestin peuvent avoir besoin d’une aide qui peut être fournie par les probiotiques. Pour le jeune garçon de notre étude, les probiotiques ont été la clé de la diminution à long terme du nombre de méchants dans son intestin. Cependant, dans la plupart des cas, les antibiotiques restent le moyen le plus important de lutter contre les mauvaises infections. Bien que les probiotiques puissent contribuer à rétablir notre santé, il est important de se rappeler que nous devons encore apprendre à nous maintenir en bonne santé. Nous devons toujours suivre les instructions de nos médecins, et ne jamais oublier de prendre soin de nos héros de l’intestin au quotidien : mangez des aliments sains et faites de l’exercice régulièrement !
Glossaire
Micro-Organismes: ↑ De minuscules organismes vivants, pour la plupart unicellulaires. Il s’agit notamment des bactéries, de certains champignons, de virus et de microalgues.
Microbiote de L’intestin: ↑ Groupe de micro-organismes qui vivent dans l’intestin humain et qui ne provoquent pas de maladie dans une situation stable et saine.
Pathobionte: ↑ Tout micro-organisme potentiellement pathogène qui, dans des circonstances normales, vit sans causer de maladie.
Antibiotiques: ↑ Des types de médicaments qui vont chercher et détruire les bactéries qui nous rendent malades. Ils fonctionnent bien contre les bactéries, mais pas contre les virus.
Probiotiques: ↑ Groupe de micro-organismes (bactéries) qui contribuent au maintien et au rétablissement des bactéries bénéfiques dans nos intestins lorsqu’ils sont consommés.
Système Digestif: ↑ Ensemble d’organes qui digèrent les aliments pour obtenir des nutriments et de l’énergie et qui expulsent les déchets restants sous forme de selles. Chez l’homme, le système digestif se compose de l’estomac, des intestins, de la langue, des glandes salivaires, du pancréas, et du foie et de la vésicule biliaire.
Acidose D-Lactique: ↑ Une complication métabolique survenant dans nos intestins en raison de la mauvaise absorption des glucides. Cela conduit à l’accumulation de la forme D de l’acide lactique qui peut être extrêmement nocive pour nous.
Délire: ↑ Un état d’esprit grave impliquant une confusion importante et des changements de comportement, généralement en raison d’une forte fièvre ou d’une autre maladie.
Ataxie: ↑ Une incapacité à coordonner les mouvements musculaires volontaires.
Conflit d’intérêts
Les auteurs déclarent que les travaux de recherche ont été menés en l’absence de toute relation commerciale ou financière pouvant être interprétée comme un potentiel conflit d’intérêts.
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Original Source Article
↑ Yilmaz, B., Schibli, S., Macpherson, A. J., and Sokollik, C. 2018. D-lactic acidosis: successful suppression of D-lactate-producing Lactobacillus by probiotics. Pediatrics 142:e20180337. doi: 10.1542/peds.2018-0337
Références
[1] ↑ Yilmaz, B., and Li, H. 2018. Gut microbiota and iron: the crucial actors in health and disease. Pharmaceuticals (Basel) 11:E98. doi: 10.3390/ph11040098
[2] ↑ Yilmaz, B., Juillerat, P., Oyas, O., Ramon, C., Bravo, F. D., Franc, Y., et al. 2019. Microbial network disturbances in relapsing refractory Crohn’s disease. Nat. Med. 25:323–36. doi: 10.1038/s41591-018-0308-z
[3] ↑ Hooper, L. V., Midtvedt, T., and Gordon, J. I. 2002. How host-microbial interactions shape the nutrient environment of the mammalian intestine. Annu. Rev. Nutr. 22:283–307. doi: 10.1146/annurev.nutr.22.011602.092259
[4] ↑ Yilmaz, B., Schibli, S., Macpherson, A. J., and Sokollik, C. 2018. D-lactic acidosis: successful suppression of D-lactate-producing Lactobacillus by probiotics. Pediatrics 142:e20180337. doi: 10.1542/peds.2018-0337