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Nouvelle découverte Biodiversité Publié le 4 octobre 2023

Un monde invisible incroyable : comment les microbes prennent soin des coraux dans les temps difficiles

Résumé

As-tu déjà plongé dans l’océan et vu sous l’eau des « roches » colorées ? Ces roches étaient peut-être des coraux, qui sont des animaux ! Ils forment des récifs coralliens et sont très importants, car la survie de milliers d’animaux marins en dépend. Sais-tu que les coraux et les humains ont quelque chose en commun ? Ils hébergent des micro-organismes mutualistes (ou comme nous aimons les appeler, des M&Ms). Les micro-organismes mutualistes sont de minuscules organismes qui renforcent et aident les humains et les coraux lorsqu’ils tombent malades. L’élévation de la température de l’eau de mer est l’une des principales causes de maladie et de mort des coraux. Ce qui est curieux, c’est qu’à certains endroits, comme dans la mer Rouge, la température de l’eau est plus élevée qu’ailleurs, et pourtant plusieurs coraux y vivent très bien. Comment est-ce possible ? Les M&Ms aident-ils les coraux à survivre dans ces environnements plus chauds ?

Un animal ancien en détresse

Les coraux vivent dans les océans depuis longtemps, des millions d’années. Ils sont probablement apparus avant même les dinosaures. Actuellement, les récifs coralliens ne couvrent que 1 % de la superficie des océans, mais la survie d’un animal marin sur quatre en dépend. C’est dans les récifs coralliens que ces animaux marins établissent leur habitat, trouvent leur nourriture, se protègent des prédateurs et élèvent leurs petits [1]. Et si les coraux disparaissaient à jamais ? Où vivraient tous les autres animaux qui en dépendent ? Ce serait sûrement une grande catastrophe (Figure 1).

Figure 1 - (A) Un récif corallien sain, vivant en harmonie avec d’autres êtres marins.
  • Figure 1 - (A) Un récif corallien sain, vivant en harmonie avec d’autres êtres marins.
  • (B) Un récif corallien malade et blanchi, sans autres êtres marins vivants.

L’une des grandes menaces pour le corail est la hausse de la température des océans. Bien que les coraux existent depuis des millions d’années, ce sont des animaux fragiles à certains égards, en particulier en ce qui concerne les changements de température. Voici ce qui se passe : de très petits organismes appelés zooxanthelles vivent dans la plupart des coraux des eaux peu profondes. Ces zooxanthelles peuvent réaliser la photosynthèse : elles peuvent transformer la lumière du soleil en nourriture. Ils sont si performants qu’ils en produisent assez pour se nourrir eux-mêmes et le corail. La principale source de nourriture et d’énergie pour la croissance du corail provient donc des zooxanthelles qu’ils hébergent. En retour, les coraux protègent les zooxanthelles et leur fournissent certains nutriments pour les aider à grandir. Cette relation très amicale entre le corail et les zooxanthelles est connue sous le nom de « mutualisme ».

À mesure que la température des océans augmente, en grande partie à cause du réchauffement climatique et de l’effet de serre, l’amitié entre les coraux et les zooxanthelles se détériore. Les zooxanthelles produisent moins de nourriture et fabriquent certains composés toxiques, et les coraux commencent à s’en débarrasser. Les coraux perdent ainsi leur principale source d’énergie et les belles couleurs qu’ils avaient autrefois. Ce phénomène est appelé blanchissement des coraux [2]. Comme les zooxanthelles aident à protéger les coraux du soleil, lorsque les coraux blanchissent, ils ne sont plus protégés des effets nocifs de la lumière directe du soleil. Dans les cas extrêmes, certains coraux essaient de se protéger en augmentant leurs propres couleurs bleutées, jaunâtres ou violettes [3]. Ces couleurs vives agissent comme un écran solaire et sont le dernier recours dont disposent certains coraux pour se protéger du soleil.

Si les coraux perdent des zooxanthelles pendant une longue période, ils n’ont plus l’énergie nécessaire pour survivre et finissent par mourir. C’est le principal effet négatif de la hausse des températures des océans, et c’est là que les M&Ms peuvent aider les coraux grâce à leur rôle de probiotiques.

Les grands sauveurs : les probiotiques

Les probiotiques sont des micro-organismes qui sont bénéfiques pour la santé de l’organisme hôte, c’est-à-dire l’organisme dans ou sur lequel ils vivent. Chez l’humain, par exemple, les probiotiques sont utilisés pour aider à la digestion des aliments et pour protéger contre l’invasion par des agents pathogènes, qui sont des micro-organismes qui peuvent nous rendre malades. Les M&Ms sont de bons candidats pour une utilisation en tant que probiotiques, car on sait déjà comment ils peuvent rendre service à leurs hôtes. Les interactions positives entre les M&Ms et leurs hôtes ne se produisent pas seulement chez les humains et les coraux. La croissance de nombreuses plantes dépend aussi d’une relation mutualiste avec des micro-organismes associés à leurs racines.

Se pourrait-il qu’en fournissant plus de micro-organismes mutualistes aux coraux en difficulté on les aide à survivre dans des eaux plus chaudes ? Même s’ils n’ont pas de tube digestif comme les humains, ou de racines comme les plantes, les coraux sont associés à plusieurs micro-organismes qui peuvent leur être bénéfiques. Ces micro-organismes les protègent contre les agents pathogènes, leur servent d’aliments et leur fournissent certains nutriments dont ils ont besoin pour se développer [4]. Des chercheurs du monde entier ont étudié si l’utilisation comme probiotiques de certains micro-organismes qui vivent avec les coraux pouvait les aider lorsqu‘ils sont menacés par la hausse des températures océaniques.

Une étude récente a montré que c’est bien le cas. Dans cette étude, les chercheurs ont isolé plusieurs micro-organismes qui vivent sur les coraux et les ont cultivés en laboratoire. Tous ces micro-organismes y ont été testés à l’aide de diverses techniques, pour déterminer lesquels d’entre eux pourraient aider des coraux affaiblis à survivre. Les chercheurs en ont retenu sept et ont testé leur capacité à agir comme probiotiques, c’est-à-dire à protéger les coraux lors d’une hausse de température de l’eau (Figures 2A, B).

Figure 2 - Les probiotiques coralliens aident les coraux à survivre à des températures plus élevées.
  • Figure 2 - Les probiotiques coralliens aident les coraux à survivre à des températures plus élevées.
  • (A) Les coraux qui ne sont pas protégés par les probiotiques perdent leurs zooxanthelles et blanchissent lorsque la température monte de 4 °C au-dessus de la température habituelle. (B) Les coraux protégés par des probiotiques ne perdent pas leurs zooxanthelles et conservent leur couleur, même lorsque la température monte de 4 °C au-dessus de la température habituelle. Cela nous indique que certains micro-organismes probiotiques peuvent aider à protéger les coraux contre les élévations de la température.

Pour visualiser cette expérience, imagine deux aquariums de la taille d’une boîte à chaussures, chacun avec de l’eau et trois petits coraux de la taille d’une balle de ping-pong. Les chercheurs ont réchauffé l’eau des deux aquariums jusqu’à une température à laquelle les coraux commencent à s’affaiblir. Ils ont ajouté des micro-organismes probiotiques dans un des deux aquariums et pas dans l’autre. Les chercheurs ont constaté que les coraux ayant reçu des M&Ms étaient beaucoup plus forts, en meilleure santé et plus colorés que les coraux qui n’en avaient pas eu. Cette expérience a montré pour la première fois que les probiotiques peuvent aider les coraux à survivre lorsqu’ils sont malades ou stressés par les augmentations de température. Une animation montrant le fonctionnement des probiotiques coralliens est disponible sur YouTube (https://youtu.be/toYkTciZyuQ). Rappelle-toi que, jusqu’à présent, ces probiotiques n’ont été testés qu’en laboratoire et avec quelques espèces de coraux seulement. Nous ne savons donc pas encore avec certitude s’ils fonctionneraient sur tous les coraux dans leur environnement océanique naturel.

Comment les probiotiques aident-ils vraiment les coraux ?

Les chercheurs ne comprennent pas encore exactement comment les probiotiques aident les coraux. Il est possible que ces micro-organismes aident à maintenir la relation mutualiste entre les zooxanthelles et les coraux, réduisant ainsi le blanchiment. Peut-être que les micro-organismes parviennent à apaiser cette relation troublée par des températures plus élevées, en empêchant par exemple les coraux d’expulser les zooxanthelles et de perdre ainsi la principale source d’énergie pour leur croissance.

Une autre possibilité est que les micro-organismes probiotiques eux-mêmes fournissent de l’énergie aux coraux, en libérant de grandes quantités de nutriments ou en devenant eux-mêmes nourriture. Si les micro-organismes probiotiques nourrissent les coraux, ces derniers pourraient ressentir moins de stress quand ils perdent une partie de leurs zooxanthelles. Des études sont en cours pour découvrir plus exactement comment les organismes probiotiques aident les coraux et comprendre ce qui se passe réellement dans l’interaction entre les micro-organismes, les zooxanthelles et les coraux.

La mer rouge : une source possible de probiotiques

Connais-tu un endroit où la température moyenne de l’océan est naturellement élevée ? Un endroit où l’eau est si chaude qu’aucun corail qui vit ailleurs dans le monde ne peut survivre ? Cet endroit existe, c’est la mer Rouge, qui se trouve entre l’Afrique et l’Asie. La température de l’eau peut y atteindre jusqu’à 33 °C avec une moyenne annuelle de 27 °C [5], alors que la température des océans ailleurs dans le monde où vivent les coraux est plutôt de 25 °C.

Cette différence de température entre la mer Rouge et d’autres mers du monde peut sembler faible, mais pour les coraux, qui sont très sensibles aux changements de température, elle est importante et dangereuse. Alors comment les coraux peuvent-ils vivre heureux dans la mer Rouge depuis des milliers d’années ? Les scientifiques pensent que c’est grâce à leur cohabitation avec des micro-organismes. Ces micro-organismes ont évolué avec les coraux et se sont adaptés à des températures plus élevées. Ainsi, ils donnent aux coraux assez de force pour survivre à ces températures élevées. La mer Rouge est donc une source possible de nouveaux probiotiques.

Des études sont menées à l’heure actuelle en mer Rouge pour trouver de nouveaux micro-organismes capables de transformer les coraux en super coraux qui peuvent survivre à des températures élevées. Si nous en trouvons, nous pourrons les utiliser pour protéger les coraux qui souffrent de l’élévation des températures océaniques dans d’autres régions du monde. Cela pourrait réduire leur stress thermique et les aider à survivre, et sauver ainsi toutes les autres créatures marines qui dépendent des récifs coralliens.

Contributions à la version française

TRADUCTEUR : Jean-Marie Clément (Association Jeunes Francophones et la Science, Montpellier, France)

ÉDITEURS : Catherine Braun-Breton et Sylvie Boussès-Hurtrez (Association Jeunes Francophones et la Science, Montpellier, France)

MENTOR SCIENTIFIQUE : Guillaume Bossis (IGMM, Montpellier, France)

JEUNE EXAMINATEUR : Juliette, 11 ans. Je m’appelle Juliette, j’ai 11 ans et je suis en classe de 6e à Montpellier. J’aime lire, faire des activités manuelles (dessin, couture, broderie) et faire de la gymnastique.

Glossaire

Organismes: Être vivant organisé comme une plante, un animal, un être humain ou un microbe.

Photosynthèse: Procédé chimique par lequel les plantes vertes et certains microbes utilisent l’énergie de la lumière du soleil pour fabriquer des sucres à partir du dioxyde de carbone.

Nutriments: Substance alimentaire qui peut être assimilée par un organisme sans nécessiter de transformations digestives.

Mutualisme: Interaction entre deux ou plusieurs espèces dans laquelle chaque organisme bénéficie de l’interaction d’une manière ou d’une autre.

Probiotiques: Micro-organismes vivants bénéfiques pour la santé lorsqu’ils sont donnés à un hôte.

Hôte: Organisme qui en héberge un autre et qui lui fournit généralement un abri et de la nourriture.

Agents pathogènes: Pathogène signifie « qui peut rendre malade ». Les agents pathogènes sont, en particulier, des micro-organismes comme certaines bactéries, certains champignons microscopiques, des parasites ou des virus.

Micro-organisme: Organisme invisible à l’oeil nu. Les microbes comprennent par exemple les bactéries, les archées et des eucaryotes microscopiques (algues, champignons, parasites). On a coutume d’y inclure aussi les virus.

Conflit d’intérêts

Les auteurs déclarent que les travaux de recherche ont été menés en l’absence de toute relation commerciale ou financière pouvant être interprétée comme un potentiel conflit d’intérêts.


Article source original

Rosado, P. M., Leite, D. C. A., Duarte, G. A. S., Chaloub, R. M., Jospin, G., Nunes da Rocha, U., et al. 2018. Marine probiotics : increasing coral resistance to bleaching through microbiome manipulation. ISME J. 13:921–36. doi: 10.1038/s41396-018-0323-6


Références

[1] Sheppard, C., Davy, S., Pilling, G., and Graham, N. 2018. The Biology of Coral Reefs. 2nd Edn. Oxford : Oxford University Press. doi: 10.1093/oso/9780198787341.001.0001

[2] Hughes, T. P., Kerry, J. T., Alvarez-Noriega, M., Alvarez-Romero, J. G., Anderson, K. D., Baird, A. H., et al. 2017. Global warming and recurrent mass bleaching of corals. Nature 543:373–7. doi: 10.1038/nature21707

[3] Gittins, J. R., D'Angelo, C., Oswald, F., Edwards, R. J., and Wiedenmann, J. 2015. Fluorescent protein-mediated colour polymorphism in reef corals : multicopy genes extend the adaptation/acclimatization potential to variable light environments. Mol. Ecol. 24:453–65. doi: 10.1111/mec.13041

[4] Peixoto, R. S., Rosado, P. M., Leite, D. C. A., Rosado, A. S., and Bourne, D. G. 2017. Beneficial microorganisms for corals (BMC) : proposed mechanisms for coral health and resilience. Front. Microbiol. 8:341. doi: 10.3389/fmicb.2017.00341

[5] Sawall, Y., Al-Sofyani, A., Banguera-Hinestroza, E., and Voolstra, C. R. 2014. Spatio-temporal analyses of symbiodinium physiology of the coral Pocillopora verrucosa along large-scale nutrient and temperature gradients in the Red Sea. PLoS ONE 9:e103179. doi: 10.1371/journal.pone.0103179