Résumé
Les bactéries vivent les unes avec les autres dans un réseau organisé appelé biofilm. Le biofilm permet aux bactéries de communiquer entre elles et de transférer des nutriments et des signaux d’une bactérie à l’autre. Cette communication confère aux bactéries de nouvelles propriétés qui leur permettent de survivre, même lorsqu’elles sont exposées à des composés nocifs qui les tuent habituellement (par exemple les antibiotiques). Ces bactéries persistantes peuvent désormais provoquer ce que l’on appelle des infections nosocomiales, car les patients les contractent souvent lorsqu’ils se trouvent dans un établissement de soins, comme un hôpital. Les infections nosocomiales mettent évidemment en danger la santé des patients et peuvent conduire au décès. Il est donc important de trouver des solutions qui empêchent les bactéries de former des biofilms. Mon groupe de recherche a conçu et synthétisé un composé qui forme un revêtement sur différents matériaux et qui ne permet pas aux bactéries de former un biofilm. Ce composé pourrait être utile à l’avenir comme revêtement pour les dispositifs médicaux, les installations de dessalement de l’eau et les surfaces de préparation des aliments.
Que sont les bactéries et comment aiment-elles vivre ?
Les bactéries sont de petits organismes qui sont invisibles à l’œil nu. Pour les détecter, il faut utiliser un microscope. Une bactérie est constituée d’une paroi cellulaire qui entoure le matériel génétique et d’autres structures nécessaires à la cellule bactérienne.
Les bactéries sont la forme de vie la plus abondante sur notre planète. Elles existent dans de multiples tailles, formes et couleurs. Les bactéries se reproduisent par division : chaque cellule se divise en deux nouvelles cellules, appelées cellules filles. En une demi-heure environ, le nombre de bactéries peut doubler. De nombreuses bactéries ne sont pas dangereuses pour l’homme et sont considérées comme des ≪ bonnes ≫ bactéries. Ces bonnes bactéries sont bénéfiques pour l’homme. Par exemple, les ≪ bonnes ≫ bactéries peuvent prendre la place des bactéries nocives et ainsi nous protéger des infections. D’autres bactéries nous aident à digérer nos aliments [1]. Les bactéries nuisibles, également appelées bactéries pathogènes, provoquent diverses maladies.
Les bactéries vivent en colonies, dans lesquelles chaque bactérie est entourée de nombreuses autres bactéries qui la protègent de l’environnement extérieur. Au sein de la colonie, les bactéries communiquent entre elles à l’aide de substances chimiques. Ces signaux chimiques aident les bactéries à former un réseau appelé biofilm (Figure 1). Un autre nom pour un biofilm est une plaque. Le terme de plaque est souvent utilisé par les dentistes pour décrire la couche bactérienne sur les dents. Cette couche est bien attachée aux dents et sécrète des matériaux qui détruisent les dents. Un biofilm peut conférer aux bactéries une résistance aux antibiotiques, qui peuvent généralement tuer les bactéries individuelles (Figure 1). Sous forme de biofilm, certaines bactéries peuvent encore vivre, se multiplier et provoquer des infections, même en présence d’antibiotiques. Ces infections constituent un problème majeur dans les hôpitaux, où elles nuisent aux patients, voire les tuent. Pour prévenir ces infections, les hôpitaux et le système de santé déploient de gros efforts pour nettoyer les installations hospitalières et les dispositifs médicaux [2].
- Figure 1 - À quoi ressemblent les bactéries ? (A) Les bactéries vivent ensemble et forment des colonies sur la surface du plat de laboratoire.
- Sur l’image, les colonies sont les points ronds jaunes. Chaque point contient des milliers de bactéries. (B) Il est possible de colorer les bactéries avec un colorant fluorescent qui colore les cellules vivantes en vert. Cette méthode de coloration nous permet de tester l’activité antimicrobienne des matériaux. (C) Chaque colonie est composée de nombreuses bactéries de la taille du micron. Un micron, également appelé micromètre (μ), est égal à 10-6 m.
Comment fonctionnent les antibiotiques ?
Un antibiotique est un composé qui tue les bactéries. Les antibiotiques arrêtent les activités cellulaires essentielles qui permettent à la bactérie de vivre. Par exemple, certains antibiotiques endommagent la paroi cellulaire tandis que d’autres empêchent la bactérie de se reproduire. Le premier antibiotique, la pénicilline, a été découvert il y a plus de 90 ans. Depuis, de nombreux autres antibiotiques ont été découverts. Depuis la découverte et l’utilisation des antibiotiques, certaines bactéries ont évolué pour résister aux antibiotiques et se multiplier même en présence d’antibiotiques. Ces bactéries sont appelées ≪ bactéries résistantes aux antibiotiques ≫.
La résistance aux antibiotiques évolue par des mutations (modifications génétiques) de l’ADN bactérien qui permettent à la bactérie de survivre en présence d’antibiotiques. Il y a un an, l’Organisation mondiale de la santé a publié un rapport sur 12 souches bactériennes différentes qui sont résistantes aux antibiotiques [3]. Pour ces souches bactériennes résistantes aux antibiotiques, il faut trouver d’autres solutions que les antibiotiques pour tuer les bactéries. Mon groupe de recherche pense que si nous parvenons à prévenir la formation de biofilms, nous serons en mesure de combattre avec succès les bactéries résistantes aux antibiotiques.
Comment luttons-nous contre les bactéries ?
De nombreux groupes de recherche dans le monde tentent de trouver des composés qui empêcheront la formation de biofilms. Une partie de cette recherche vise à trouver des composants qui empêcheront la première étape de la formation du biofilm. Lors de la première étape de la formation du biofilm, de grosses molécules telles que des protéines et des polysaccharides (de gros sucres) sont produites par les bactéries et adhèrent à la surface sur laquelle elles se développent. Ces substances fournissent une ≪ colle ≫ aux bactéries, et c’est ainsi que commence la formation du biofilm.
Il y a plus de dix ans, plusieurs groupes de recherche ont montré que de petites particules d’argent pouvaient tuer les bactéries. Ces groupes ont ainsi suggéré que ces particules pourraient être capables d’agir comme un nouvel antibiotique. Cependant, il a ensuite été découvert que ces particules peuvent également tuer des cellules humaines et sont dangereuses pour l’homme. L’utilisation des particules d’argent a donc été interdite. Le polyéthylène glycol (PEG) est un autre matériau qui a été suggéré comme pouvant prévenir la formation des biofilms. Ce composé peut se lier à de nombreuses molécules d’eau, ce qui empêche les bactéries d’adhérer à la surface. Cependant, le PEG se décompose avec le temps, et il n’est donc pas possible de l’utiliser pour des applications à long terme. D’autres recherches ont cherché à imiter les surfaces naturelles qui empêchent les bactéries de s’y coller. Par exemple, les feuilles de lotus sont toujours propres, même si cette plante pousse généralement dans des marécages et des eaux peu profondes. Les feuilles de lotus restent propres car elles comportent de nombreuses bosses recouvertes de cire. La combinaison des bosses et de la cire permet à une goutte d’eau de glisser de la feuille, entraînant toute la saleté avec elle, comme une serpillière. Ce phénomène est appelé ≪ l’effet lotus ≫. De nombreux groupes de recherche tentent d’imiter cet effet ... et y parviennent. Cependant, imiter l’effet lotus nécessite souvent des processus de production coûteux et compliqués, limités à de petites surfaces. Par conséquent, cette solution ne peut pas encore être utilisée dans les hôpitaux ou dans d’autres endroits où il est souhaité d’empêcher la formation de biofilms.
L’interruption de la communication entre les bactéries est un autre moyen possible de prévenir la formation de biofilms. Les bactéries communiquent entre elles à l’aide de divers produits chimiques. Une bactérie produit une certaine molécule ; une autre la reçoit et produit une molécule différente en réponse. La synthèse de molécules qui nuisent à cette communication, en bloquant les signaux, est une autre option pour lutter contre la formation de biofilms [4].
La solution que nous proposons
Mon groupe de recherche a mis au point une petite molécule qui empêche les molécules biologiques collantes (protéines, sucres, etc.) d’adhérer aux surfaces, ce qui réduit la formation de biofilms [5]. Pour former ce revêtement ≪ antiadhésif ≫ qui empêchera la fixation de molécules biologiques sur une surface, nous avons imité la chimie du Teflon®;. Le Teflon®; est un matériau antiadhésif utilisé dans la production de poêles à frire. Cette molécule que nous avons développée est composée d’acides aminés. Les acides aminés sont les éléments constitutifs des protéines. Nous avons choisi les acides aminés car ils ne sont pas toxiques pour l’homme, ils sont faciles à synthétiser en grande quantité, ils peuvent être conservés au réfrigérateur pendant plusieurs années et surtout ils peuvent s’auto-assembler. L’auto-assemblage est un processus par lequel les molécules forment spontanément une structure ordonnée, sans avoir besoin d’énergie extérieure. En d’autres termes, ces acides aminés peuvent interagir les uns avec les autres et se connecter comme des blocs de construction Lego.
Pour faire adhérer nos molécules antiadhésives auto-assemblées à la surface, nous avons utilisé un autre acide aminé, qui sert de composant principal aux protéines adhésives des moules (MAP). Les moules peuvent se fixer solidement aux rochers dans la mer et s’y accrocher à marée haute comme à marée basse. Les moules adhèrent à l’aide de cordes constituées de MAP riches en acide aminé L-3,4-dihydroxyphénylalanine (DOPA). Cet acide aminé permet aux MAP d’adhérer à toute surface – métal, verre, et plastique.
Nous avons synthétisé notre molécule antiadhésive en laboratoire, sous la forme d’une poudre qui ressemblait à du sucre en poudre. Nous avons dissous cette poudre dans un liquide et l’avons pulvérisée sur différentes surfaces. Nous avons ensuite effectué plusieurs mesures pour prouver que les molécules se sont effectivement auto-assemblées sur la surface. Pour vérifier si le revêtement empêche l’adhésion des bactéries, nous avons incubé la surface revêtue dans une solution contenant un million de cellules bactériennes et les nutriments nécessaires. Nous avons toujours testé deux types de surfaces : l’une avec le revêtement (l’expérience) et l’autre sans le revêtement (le contrôle). La surface sans revêtement a servi de contrôle, car elle nous a montré le nombre de bactéries qui adhéreraient à une surface sans revêtement. D’après nos expériences précédentes, la souche de bactéries que nous avons utilisée a produit un biofilm sur la surface en 9 heures. Nous avons donc attendu 9 heures avant de retirer les surfaces de la solution de bactéries. Pour déterminer le nombre de bactéries présentes sur la surface, nous avons gratté la surface avec une brosse à dents et transféré les bactéries de la brosse à dents sur une plaque contenant de la nourriture pour les bactéries. Cette plaque s’appelle une boîte de Petri (Figure 2). Les bactéries se sont développées sur la boîte de Petri et ont formé des colonies. Chaque colonie provient d’une bactérie qui s’est détachée de la surface. Nous avons compté le nombre de colonies et constaté que le nombre de bactéries sur la surface revêtue était significativement plus faible que le nombre de bactéries sur la surface non revêtue.
- Figure 2 - Détermination du nombre de bactéries sur une surface.
- (A) Dans la première étape, la surface (le rectangle coloré au fond du récipient) est placée dans un récipient qui contient les bactéries et leurs nutriments. (B) Dans la deuxième étape, la surface est retirée du récipient et les bactéries sont grattées de la surface à l’aide d’une brosse à dents. (C) Au cours de la troisième étape, les bactéries sont placées sur un plat qui contient toute la nourriture nécessaire aux bactéries. Sur cette surface solide, les bactéries se développent en colonies. Les colonies apparaissent sous forme de taches ou de points arrondis sur la plaque (voir figure 1A). Chaque colonie provient d’une bactérie et, par conséquent, le nombre de colonies reflète le nombre de bactéries présentes sur la surface d’origine.
Pour que ce revêtement soit utile dans des applications réelles, nous devons encore prouver qu’il peut réduire le nombre de bactéries dans des conditions normales dans l’environnement extérieur.
Cela signifie que le revêtement doit résister à la lumière du soleil, aux rayures et à l’exposition à des températures élevées et basses. Il est également nécessaire de prouver que le matériau n’est pas toxique pour l’homme. Ces tests sont appelés tests de régulation et sont requis pour tout nouveau matériau. Le matériau que nous avons développé est actuellement testé dans des essais de régulation.
Qu’en est-il de l’avenir ?
Malheureusement, il n’existe pas de solution ultime qui empêche totalement la formation de biofilms. Les biofilms ne sont pas seulement à l’origine d’infections nosocomiales, mais ils nuisent également à la qualité des aliments et de l’eau. Les groupes de recherche qui tentent de résoudre le problème des biofilms ont proposé plusieurs solutions différentes, mais il reste à trouver un revêtement suffisamment stable, qui ne se détache pas de la surface, qui ne soit pas toxique pour les cellules, et qui soit facile à appliquer et peu coûteux. Nous espérons que la solution que nous avons proposée, composée d’acides aminés, apportera une bonne solution au problème. Avez-vous votre propre idée de solution à ce problème ?
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Glossaire
Paroi Cellulaire: ↑ Couche rigide composée de protéines et de sucres qui définit les limites de la cellule, lui fournit un support physique et la protège de l’environnement
Cellule: ↑ L’unité vivante la plus élémentaire qui possède toutes les caractéristiques de la vie – respiration, mouvement et reproduction.
Molécule: ↑ Une substance composée de plus de deux atomes reliés par une liaison chimique.
Acides Aminés: ↑ Les molécules qui composent les protéines.
Conflit d’intérêts
Les auteurs déclarent que les travaux de recherche ont été menés en l’absence de toute relation commerciale ou financière pouvant être interprétée comme un potentiel conflit d’intérêts.
Références
[1] ↑ Black, J. G. and Black, J. L. 2015. Microbiology: Principles and Explorations. 9th ed. Hoboken, NJ: ohn Wiley & Sons, Inc.
[2] ↑ Percival, S. L., Suleman, L., Vuotto, C., and Donelli, G. 2015. Healthcare-associated infections, medical devices and biofilms: risk, tolerance and control. J. Med. Microbiol. 64:323–34. doi: 10.1099/jmm.0.000032
[3] ↑ WHO. 2017. WHO Publishes List of Bacteria for Which New Antibiotics are Urgently Needed. GENEVA: WHO. Available at: http://www.who.int/medicines/publications/global-priority-list-antibiotic-resistant-bacteria/en/
[4] ↑ Nir, S., and Reches, M. 2015. Bio-inspired antifouling approaches: the quest towards non-toxic and non-biocidal materials. Curr. Opin. Biotechnol. 39:48–55. doi: 10.1016/j.copbio.2015.12.012
[5] ↑ Maity, S., Nir, S., Zada, T., and Reches, M. 2014. Self-assembly of a tripeptide into a functional coating that resists fouling. Chem. Commun. 50:11154–7. doi: 10.1039/c4cc03578j