Résumé
Nos cellules s’assemblent pour former des tissus, qui s’organisent en organes. Les organes remplissent des tâches complémentaires et communiquent entre eux pour faire fonctionner un organisme complexe, qui a des capacités extraordinaires. Tout ça juste avec nos cellules ? Mais non, pas du tout ! Tu seras peut-être surpris d’apprendre que nous, les êtres humains, sommes constitués d’un drôle de mélange cellulaire. Sais-tu que nos corps contiennent beaucoup plus de microbes que de cellules humaines ? Mais pas d’affolement ! Les microbes sont aussi nos alliés : ils sont souvent utiles, parfois même essentiels, à notre santé. Même si nous associons souvent les microbes, les bactéries, les virus et les champignons à des maladies, la plupart des microbes ne sont pas dangereux. Cet article va explorer comment, au cours de son développement, le corps humain est colonisé par des microbes, établissant un partenariat bénéfique pour les deux parties.
Introduction
L’ensemble des microbes (micro-organismes) qui vivent dans notre corps et sur notre peau est appelé le microbiote humain. Ces microbes sont beaucoup plus que de simples touristes, de passage dans nos corps, et surtout, ils ne sont que rarement à l’origine de maladies. Au contraire, nous savons maintenant que notre microbiote remplit des fonctions importantes pour notre santé et notre bien-être [1]. Les microbes sont une partie importante des fonctions du corps humain. Ils établissent avec notre corps une relation appelée «symbiose», qui est tellement importante que certains scientifiques considèrent le corps humain comme un «super-organisme symbiote», attirant ainsi notre attention sur les interactions complexes entre les humains et leur microbiote [2].
Cet article explore comment le corps humain se développe, comment les microbes colonisent les différents compartiments du corps, et comment cette colonisation est bénéfique à la fois pour nous et pour les microbes.
Les microbes colonisent notre corps
Chaque personne commence par la fusion d’un ovule et d’un spermatozoïde. Les gènes de la mère et du père se mélangent, créant une combinaison génétique nouvelle et unique. Pendant les neuf mois de la croissance dans le ventre de la mère, les cellules du fœtus se développent et s’organisent en tissus, les tissus s’assemblent en organes et les organes travaillent ensemble pour créer l’organisme humain. Une fois que tout est en place, le fœtus est prêt à naître.
Les bébés humains naissent dans un monde plein de microbes, qui deviennent rapidement une partie importante de leur corps. La grande majorité des microbes ne nous rendent pas malades, et certains sont même absolument essentiels à la vie sur Terre. Des résultats de recherches récentes montrent que le fœtus rencontre déjà des microbes dans le ventre de sa mère [3]. Au moment de la naissance, la colonisation se poursuit : les microbes de la mère s’installent à l’intérieur et sur l’enfant [1]. Une fois arrivé au monde, le nouveau-né est exposé à une très large variété de microbes. Certains d’entre eux se fixent sur la peau du bébé, ou encore pénètrent dans son corps par les muqueuses des yeux, du nez et de la bouche. Les personnes qui s’occupent de l’enfant lui transmettent également des microbes lorsqu’elles le tiennent, le nourrissent, l’embrassent, le touchent et interagissent avec lui. Un peu plus tard, lorsque le bébé commence à toucher des objets, de nouveaux microbes s’introduisent dans son corps quand il met ses mains dans sa bouche. Les diverses espèces de microbes arrivent dans de nombreux endroits du corps où ils trouvent un refuge riche en nutriments. Ils s’y établissent, se multiplient et prospèrent.
Chaque type de microbes préfère coloniser des endroits particuliers. Les microbes qui entrent par la bouche sont avalés et peuvent s’établir dans différentes parties du système digestif [3]. Il est important pour les microbes de trouver un endroit accueillant, où ils auront de quoi se nourrir. En échange, ces «bons» microbes remplissent des fonctions que nos propres cellules ne peuvent pas accomplir. Le corps humain et ses habitants microbiens concluent une sorte de marché bénéfique pour les deux parties : une symbiose. Même si chacun d’entre nous a son microbiote depuis sa naissance, ce microbiote subit des changements. Par exemple, les types de microbes présents dans l’intestin peuvent changer avec l’âge, et également en fonction de notre alimentation, en réponse au stress ou aux hormones [4]. Des chercheurs ont émis l’hypothèse que les altérations du microbiote modifient le fonctionnement de notre corps et que sa composition peut nous aider à prédire l’état de santé des gens. Ce domaine de recherche nouveau et passionnant pourrait avoir de nombreuses implications pour la médecine [5].
Mais à quoi servent donc les microbes dans nos corps ? Prenons trois exemples.
Les microbes éduquent et aident notre système immunitaire
Le système immunitaire reconnaît les microbes qui n’ont pas leur place dans l’organisme et qui pourraient nous nuire – des agents pathogènes. Il n’est pas entièrement fonctionnel à la naissance : au début de la vie, ses cellules doivent «apprendre» ce qui fait partie de notre corps et ce qui ne lui appartient pas. C’est précisément à ce moment-là que les «bons» microbes colonisent différentes parties de l’organisme, par exemple l’intestin. Ils sont reconnus comme faisant partie de l’organisme et ne seront donc pas attaqués par le système immunitaire.
Le tube digestif est essentiellement un long tube ouvert aux deux extrémités. Il est tapissé de cellules épithéliales, qui fabriquent du mucus – une couche humide et protectrice. Sous cette couche, des grappes de cellules immunitaires s’assemblent et surveillent ce qui passe dans le tube digestif, à la recherche des «mauvais» microbes qui provoquent des maladies. Le microbiote intestinal aide à la défense contre les infections [5].
Comment s’y prend-il pour nous défendre ? Si nous consommons des aliments ou de l’eau contaminés, des agents pathogènes pénètrent dans l’organisme. Ils peuvent traverser la couche muqueuse du tube digestif et pénétrer dans le sang, puis se déplacer n’importe où dans l’organisme. Notre système immunitaire va les combattre, mais il aura plus de chance de succès si le nombre de pathogènes à éliminer est faible. Et voilà que nos «bons» microbes qui résident dans l’intestin se mettent à nous défendre ! Ils entrent en compétition avec les agents pathogènes pour les nutriments et l’espace, ce qui ralentit la croissance des pathogènes et les empêche de traverser la muqueuse (Figure 1). Certains microbes de nos microbiotes sécrètent même des substances toxiques qui tuent les microbes pathogènes. Ainsi, notre microbiote est la première ligne de défense contre les pathogènes intestinaux. Si cette protection n’est pas assez efficace, notre système immunitaire réagit à l’invasion en tuant ou en inactivant les agents pathogènes. Ainsi, le microbiote intestinal établit une symbiose dans le tube digestif humain : il profite de l’abondance de nutriments tout en contribuant à nous protéger contre les maladies.
Les microbes aident à la digestion
Les aliments complexes que nous mangeons doivent être décomposés en molécules simples pour que nos cellules puissent les utiliser pour se procurer de l’énergie et se nourrir. Les cellules du tube digestif produisent des substances chimiques qui décomposent les aliments en molécules simples. Ces molécules passent du tube digestif à la circulation sanguine par un processus d’absorption. Le sang transporte alors ces produits de notre digestion partout dans le corps et, ainsi, ils sont délivrés à toutes nos cellules.
Mais nous mangeons certains aliments que notre système digestif ne sait pas décomposer. Les microbes présents dans l’intestin nous viennent alors en aide [6]. Par exemple, la cellulose, qui est un composant abondant des plantes, ne serait pas digérée sans nos microbes résidents. Tu as probablement entendu parler de la cellulose sous son autre nom : elle fait partie des fibres alimentaires.
Tu sais peut-être qu’une alimentation saine doit contenir des fibres, qui proviennent d’aliments tels que les céréales, les fruits, les légumes, les haricots et les noix, pour n’en citer que quelques-uns. Alors, si les cellules humaines ne peuvent pas décomposer les fibres, pourquoi est-il recommandé d’en manger tous les jours ? Parce que les fibres sont nécessaires à nos microbes ! Le microbiote intestinal digère les fibres par un processus appelé fermentation, ce qui produit l’énergie nécessaire pour la vie des microbes (Figure 2). La fermentation produit aussi des molécules simples appelées «acides gras à chaîne courte», que les cellules épithéliales, qui tapissent le tube digestif, utilisent comme source de nourriture. C’est encore de la symbiose : un partenariat gagnant - gagnant !
Les microbes communiquent avec le cerveau
Est-ce que l’action du microbiote intestinal se limite au tube digestif ? Pas du tout ! Des données récentes montrent que ses effets vont bien au-delà [7, 8]. Pour le moment, des études ont été faites principalement sur des animaux de laboratoire, et si ce processus fonctionne de manière similaire chez les humains, on pourrait mieux comprendre comment le microbiote influence la prise de poids [9]. Certaines régions du cerveau produisent des signaux que nous ressentons comme la faim, ce qui nous pousse à nous nourrir. Lorsque nous avons mangé suffisamment pour répondre aux besoins de notre corps, d’autres signaux sont envoyés de l’intestin au cerveau pour indiquer que nous avons assez mangé. Les chercheurs ont découvert que les microbes de l’intestin envoient également des signaux qui régulent notre consommation de nourriture, la sensation de faim et notre poids.
Et alors, les microbes intestinaux seraient capables d’affecter l’activité du système nerveux ? Mais oui ! Les microbes intestinaux produisent des substances identiques aux produits chimiques utilisés par le système nerveux pour communiquer avec d’autres cellules [7]. La sérotonine est l’une de ces substances. Elle est produite à la fois par les cellules du cerveau et par des microbes intestinaux. La sérotonine aide à réguler notre humeur et elle est utilisée comme médicament pour soigner certaines maladies, comme la dépression. Il est possible que la sérotonine produite par les microbes active le système nerveux de l’intestin, qui communique avec le cerveau. Il se pourrait aussi que cette substance soit absorbée dans le sang, stimule le cerveau quand elle l’atteint par les vaisseaux sanguins et influence ainsi notre humeur et notre santé mentale (Figure 3) [7]. Cela donnerait un tout nouveau sens à l’expression «je le sens dans mes tripes»!
Conclusion
Mieux comprendre les microbes intestinaux et apprendre à favoriser leur croissance peut nous aider à comprendre l’apparition de certaines maladies et à développer de nouveaux traitements pour rétablir une relation plus saine entre les humains et leurs microbes résidents. La composition du microbiote est différente d’un individu à l’autre, elle dépend de l’endroit où nous vivons, de notre régime alimentaire et de nombreux autres facteurs. Ainsi, il reste encore beaucoup de travail de recherche pour pouvoir identifier les combinaisons de microbes qui permettent de vivre en bonne santé et les distinguer de celles qui nous rendent malades. En travaillant sur ce sujet passionnant, les scientifiques comprennent de mieux en mieux comment agir sur le microbiote pour que le partenariat entre les microbes et un être humain reste bénéfique pour le super-organisme que nous formons ensemble !
Contributions à la version française
TRADUCTEUR : Ula Hibner (Association Jeunes Francophones et la Science)
ÉDITEUR : Catherine Braun-Breton (Association Jeunes Francophones et la Science)
MENTOR SCIENTIFIQUE : Laurent Laval et Catherine Braun-Breton (Association Jeunes Francophones et la Science)
JEUNE EXAMINATEUR : Élèves de seconde internationale option espagnol, Lycée Joffre, Montpellier, France, 15 ans. Nous formons une classe multiculturelle et cette diversité est une richesse qui nous permet d’assouvir notre soif de curiosité. Nos activités extrascolaires sont très diverses et nous enrichissent mutuellement. Nous mesurons pleinement la chance d’avoir participé à ce projet de relecture et sommes fiers d’avoir contribué à l’accessibilité de la science pour les élèves de notre âge. Ce fut une joie pour nous de rencontrer des chercheurs et d’avoir participé à un projet scientifique concret et d’envergure.
Glossaire
Microbe: ↑ Organisme invisible à l’œil nu, également appelé «micro-organisme».
Microbiote: ↑ Communauté de microbes qui colonisent une région particulière du corps, comme l’intestin ou la peau.
Symbiose: ↑ Relation étroite et à long terme entre deux ou plusieurs organismes. Elle est bénéfique pour un des organismes. Elle peut être neutre (commensalisme), bénéfique (mutualisme) ou nocive (parasitisme) pour l’autre.
Colonisation: ↑ Le fait de peupler une région ; dans le cas de cet article, il s’agit de l’occupation d’une région du corps par des microbes.
Agent pathogène: ↑ Microbe qui provoquent une maladie.
Cellulose: ↑ Grosse molécule présente dans les parois cellulaires des plantes. Souvent appelée «fibre alimentaire», elle se trouve dans les fruits et légumes que nous mangeons mais nous ne pouvons pas la digérer.
Fermentation: ↑ Processus que certaines cellules utilisent pour récupérer de l’énergie (de l’ATP) lorsque l’oxygène n’est pas disponible.
Sérotonine: ↑ Composé chimique de la famille des neurotransmetteurs. La sérotonine sert aux neurones à communiquer avec d’autres cellules du système nerveux.
Conflit d’intérêts
Les auteurs déclarent que les travaux de recherche ont été menés en l’absence de toute relation commerciale ou financière pouvant être interprétée comme un potentiel conflit d’intérêts.
Références
[1] ↑ Blaser, M. 2014. The microbiome revolution. J. Clin. Invest. 124:4162–5. doi: 10.1172/JCI78366
[2] ↑ Carrapiço, F. 2015. “Can we understand evolution without symbiogenesis?” in Reticulate Evolution. Interdisciplinary Evolution Research, Vol 3, eds N. Gontier (Cham: Springer). doi: 10.1007/978-3-319-16345-1_3
[3] ↑ Kundu, P., Blacher, E., Elinav, E., and Patterson, S. 2017. Our gut microbiome: the evolving inner self. Cell. 171:1481–93. doi: 10.1016/j.cell.2017.11.024
[4] ↑ Kim, S., and Jazwinski, S. M. 2018. The gut microbiota and healthy aging: a mini-review. Gerontology. 64:513–20. doi: 10.1159/000490615
[5] ↑ van de Gutche, M., Blottiere, H., and Dore, J. 2018. Humans as holobionts: implications for prevention and therapy. Microbiome. 6:81–7. doi: 10.1186/s40168-018-0466-8
[6] ↑ Makki, K., Deehan, E. C., Walter, J., and Bäckhed, F. 2018. The impact of dietary fiber on gut microbiota in host health and disease. Cell Host Microbe. 23:705–15. doi: 10.1016/j.chom.2018.05.012
[7] ↑ Cussotto, S., Sandhu, K., Dinan, T., and Cryan, J. 2018. The neuroendocrinology of the microbiota-gut-brain axis: a behavioral perspective. Front. Neuroendocrinol. 51:80–101. doi: 10.1016/j.yfrne.2018.04.002
[8] ↑ Collins, S., Surette, M., and Berick, P. 2012. The interplay between the intestinal microbiota and the brain. Nat. Rev. Microbiol. 10:735–42. doi: 10.1038/nrmicro2876
[9] ↑ O’Connor, A. 2021. How the Right Foods May Lead to a Healthier Gut and Better Health. New York, NY: New York Times.