Résumé
Imagine un instant que tu puisses devenir plus intelligent ou intelligente en jouant simplement à des jeux. Ce serait génial ! Il suffirait de passer quelques heures chaque semaine devant ton ordinateur, et tu serais capable de mieux te concentrer, d’apprendre plus rapidement et de te souvenir de plus de choses. Tes notes monteraient en flèche, tu finirais tes études sans problème… et la vie sera parfaite, non ? Si tu regardes sur internet, tu trouveras toutes sortes de jeux et d’applications qui prétendent stimuler le cerveau et libérer l’accès à tout son potentiel. Dans cet article, nous allons parler des connaissances scientifiques qui se cachent derrière ces soi-disant « jeux d’entraînement cérébral ». En théorie, il devrait être possible de s’entraîner pour devenir plus intelligent. Mais les preuves attestant que les programmes de stimulation cérébrale y parviennent réellement sont, au mieux, controversées. Nous allons également émettre des suggestions pour les programmes d’entraînement cérébral de la prochaine génération et présenter des solutions alternatives pour améliorer ses compétences cognitives (pourquoi pas tout simplement lire un livre ?).
Beaucoup d’enfants voudraient devenir plus intelligents ou plus créatifs. Sur internet, tu peux trouver des jeux et des programmes qui prétendent t’aider à entraîner ton intelligence. Mais est-il réellement possible de mieux faire fonctionner son cerveau ? Ces soi-disant jeux d’entraînement cérébral en valent-ils la chandelle ? Tu pourras répondre toi-même à ces questions après avoir lu cet article !
La flexibilité du cerveau
T’es-tu déjà demandé pourquoi certains enfants excellent dans les activités sportives, alors que d’autres sont meilleurs à la guitare ou en calcul ? Doit-on s’en prendre à l’hérédité quand on a du mal se concentrer ou faut-il plutôt redoubler d’efforts ? Depuis de nombreuses années, les scientifiques cherchent à déterminer quelle est la part de la génétique (l’inné) et de l’environnement (l’acquis) dans nos talents et compétences. Mais il n’y a pas de réponse simple à cette question, car les gènes et l’environnement vont toujours de pair [1]. Si l’hérédité peut influer sur les limites maximales de nos performances et de notre capacité d’apprentissage, c’est l’environnement qui détermine la manière dont nos compétences vont se développer. Autrement dit, le cerveau est naturellement doté d’une certaine flexibilité dans la façon dont il se développe. Cette flexibilité nous permet de nous adapter à l’environnement dans lequel nous grandissons. Pour illustrer cette idée, nous allons prendre l’exemple de deux garçons, John et Ron (Figure 1). Ce sont de vrais jumeaux, ce qui signifie qu’ils partagent les mêmes gènes. Imaginons que, pour une raison ou une autre, John et Ron soient séparés juste après leur naissance et qu’ils soient élevés dans des familles distinctes. John grandit dans un foyer où l’on aime le sport et Ron dans une famille où on adore lire et écrire. Dans ce cas, bien que John et Ron possèdent les mêmes gènes « du sport » et « de l’écriture », leurs environnements familiaux respectifs vont jouer sur la manière dont leurs compétences vont se développer. John va devenir un fan de course à pied, et Ron choisira à l’âge adulte le métier d’écrivain.
- Figure 1 - Les gènes et l’environnement ont un impact conjoint sur le développement.
- (A) Imagine deux garçons, John et Ron, qui sont de vrais jumeaux, ce qui signifie qu’ils ont exactement les mêmes gènes. Pour une raison ou une autre, ils grandissent dans des familles différentes. Tous les membres de la famille de John sont des joueurs de football passionnés et aiment courir le week-end. Dans la famille de Ron, on préfère rester à la maison pour lire et écrire des histoires. John et Ron se rencontrent à l’âge de douze ans. (B, C) Ils sont étonnés du fait qu’ils présentent à la fois beaucoup de traits communs et d’importantes différences. Passionné de sport, John aime jouer au football, et il a les meilleures notes de sa classe en athlétisme. Ron aime lire, écrire, et il est très fier des bonnes notes qu’il obtient à l’école. On voit ici que bien que les deux frères possèdent les mêmes gènes, leur environnement va déterminer le niveau d’expression de leurs talents.
Et qu’en est-il de l’intelligence ou des capacités à l’école ? Des recherches ont démontré que le succès scolaire était étroitement lié à ce qu’on appelle les fonctions exécutives [2]. Les fonctions exécutives regroupent des compétences qui permettent de réaliser des tâches complexes comme planifier ses devoirs, les faire, mais aussi maîtriser ses émotions et sa frustration. L’une des fonctions exécutives les plus importantes est la mémoire de travail. C’est grâce à la mémoire de travail que nous sommes capables de garder des informations à l’esprit et d’effectuer des opérations mentales comme additionner de tête des nombres élevés (Figure 2A). L’inhibition est une autre fonction exécutive importante : c’est grâce à elle que l’on peut résister aux distractions, ainsi qu’aux tentations comme celle de manger tout un paquet de biscuits (Figure 2B). Une troisième fonction exécutive, la flexibilité cognitive, nous permet d’alterner rapidement entre plusieurs tâches – comme faire des allers-retours entre ses devoirs et une vidéo YouTube (Figure 2C). Pour évaluer ces fonctions, des chercheurs ont conçu différents jeux informatiques (Figures 2D–2F) et ont constaté que les enfants qui réussissaient le mieux à ces jeux réussissaient également mieux que d’autres à l’école. À l’inverse, des fonctions exécutives moins performantes ont été associées à certaines pathologies, parmi lesquelles des problèmes de santé mentale, d’obésité et des difficultés sociales [2]. On peut penser que ces fonctions seraient programmées de naissance dans le cerveau, mais de même que toute autre compétence, les fonctions exécutives sont en réalité influencées à la fois par les gènes et l’environnement. C’est une bonne nouvelle dans la mesure où cela implique que nous avons un certain contrôle sur le développement de ces fonctions. Il semble que l’enfance soit la meilleure période pour stimuler les performances cérébrales. De même qu’il plus aisé de tailler un arbre jeune qu’un arbre adulte (Figure 3), il est plus facile d’entraîner un jeune cerveau qu’un cerveau adulte [1, 3]. Toutefois, il est important de noter que bien que le cerveau d’un enfant soit plus malléable que celui d’un adulte, il n’est pas forcément plus efficace ni en mesure d’utiliser des stratégies pour traiter de nouvelles informations, ce qui peut modérer en partie les effets de l’apprentissage.
- Figure 2 - Les fonctions exécutives et les jeux d’entraînement cérébral qui s’y rapportent.
- (A–C) Activités quotidiennes faisant intervenir les fonctions exécutives : la mémoire de travail – par exemple additionner de tête des nombres élevés ; l’inhibition – par exemple se retenir de manger tout un paquet de biscuits ; la flexibilité cognitive, qui nous permet d’alterner rapidement plusieurs tâches, par exemple faire ses devoirs tout en regardant une vidéo sur YouTube. On utilise souvent des jeux pour tester et entraîner ces fonctions exécutives. (D) Dans ce jeu qui entraîne la mémoire de travail, on doit retenir plusieurs lettres et les mettre dans l’ordre alphabétique. (E) Dans ce jeu entraînant la faculté d’inhibition, il faut indiquer la direction dans laquelle nage le poisson du milieu en ignorant les poissons qui nagent dans le sens opposé. (F) Ce jeu de flexibilité cognitive demande de passer d’une tâche à une autre : tout d’abord indiquer le nom de la grande forme (un rectangle), puis identifier la nature des petites formes (des carrés).
- Figure 3 - Des chercheurs avancent qu’étant donné que le cerveau des enfants se développe encore, ces derniers sont plus aptes à apprendre et à s’adapter aux circonstances environnementales que les adultes.
- En d’autres termes, de même qu’il est plus facile de tailler un arbre en plein développement qu’un arbre adulte, il est plus aisé d’entraîner un jeune cerveau qu’un cerveau adulte.
Entraîner son cerveau
L’internet regorge de conseils pour optimiser le fonctionnement de notre cerveau, et de nombreux livres ont été écrits sur ce sujet. Les recommandations vont de dormir suffisamment à manger sainement, en passant par faire de l’exercice. Et puis, il y a aussi ce qu’on appelle l’« entraînement cérébral ». Les entreprises qui proposent de tels exercices affirment que l’on peut « entraîner son cerveau quelques minutes chaque jour », et des personnes ayant pratiqué ces exercices affirment avoir observé chez elles des changements impressionnants en termes de concentration… ou de performances au bowling [4] ! Généralement, l’entraînement cérébral exerce les fonctions exécutives. Réaliser des tâches mentales complexes demande d’importants efforts au cerveau, d’où le terme « entraînement cérébral ». Mais si des recherches ont montré que l’entraînement générait réellement des modifications du cerveau [3], celles-ci sont moins impressionnantes que ne l’affirment certains témoignages sur internet. Au fond, toutes les activités que l’on pratique, y compris promener son chien, rencontrer des amis ou lire cet article, agissent légèrement sur le cerveau. Le concept marchand d’« entraînement cérébral » est donc un terme impropre : il vaudrait mieux parler ici d’entraînement des fonctions exécutives.
Alors, l’entraînement cérébral – ça marche ou pas ? Étant donné que les fonctions exécutives sont étroitement liées à l’intelligence, aux performances scolaires et à toutes sortes d’autres performances concrètes, des chercheurs suggèrent que les jeux qui les entraînent peuvent aussi favoriser des progrès dans tous ces domaines de la vie réelle. En d’autres termes, puisque les activités quotidiennes présentées aux Figures 2A–2C font appel aux mêmes compétences cérébrales que les jeux illustrés aux Figures 2D–2F, il est possible qu’après avoir joué à ces jeux, on améliore ses performances dans ces activités de tous les jours. C’est un phénomène que les chercheurs appellent transfert. Au cours des 20 dernières années, de nombreux travaux scientifiques ont été menés pour déterminer si ce transfert avait réellement lieu [4]. Les résultats indiquent que les programmes d’entraînement cérébral améliorent souvent les performances dans les tâches ciblées. Ainsi, les participants qui s’exercent à remettre en ordre des lettres dans leur mémoire de travail améliorent leur capacité à réaliser cette tâche précise, et il semble indéniable qu’ils améliorent également leurs performances dans des tâches similaires, comme remettre en ordre des chiffres dans leur mémoire de travail. Cependant, les données actuelles ne permettent pas encore de conclure que l’entraînement cérébral améliorerait les performances dans des activités plus spécifiques comme les mathématiques ou la lecture [4]. Autrement dit, le fait qu’on puisse considérablement améliorer ses performances grâce à des jeux d’entraînement cérébral n’entraîne pas nécessairement des progrès dans la vie quotidienne. Il n’est pas rare que les compétences acquises s’appliquent uniquement au jeu auquel on a joué. Pour avoir des effets plus globaux, la prochaine génération des programmes d’entraînement cérébral devra intégrer des activités plus variées, intégrées dans des situations réelles de la vie. Ainsi, des exercices visant à entraîner les fonctions exécutives pourraient être intégrés dans des jeux vidéo complexes, mais aussi dans certaines matières scolaires.
Le cerveau et la lecture
On sait aujourd’hui que ce que nous faisons chaque jour contribue à façonner notre cerveau, et on sait aussi qu’il devrait être possible d’entraîner son cerveau. Mais ce qu’on ne sait pas encore, c’est quels sont les meilleurs moyens pour y parvenir. Aurais-tu envie d’investir du temps précieux dans un programme d’entraînement cérébral sans réelle efficacité ? Ne préférerais-tu pas consacrer ton temps à des activités agréables comme faire du sport ou lire des livres ? Il est intéressant de souligner que des recherches ont montré que l’activité physique était bénéfique non seulement pour le corps, mais aussi pour le cerveau ! Une activité physique régulière pourrait même être plus efficace pour améliorer les performances scolaires que les programmes d’entraînement cérébral. De même, la lecture a un impact positif sur les compétences cognitives générales. Des recherches suggèrent qu’en enrichissant le vocabulaire et en élargissant la culture générale, le fait de lire régulièrement développe l’intelligence [5]. Le plus cool dans tout ça, c’est que chaque fois qu’un nouveau souvenir est créé, le cerveau établit de nouvelles connexions et renforce certaines des anciennes. Autrement dit, plus on sait de choses, plus il est facile d’en apprendre d’autres [5] !
Par ailleurs, il se pourrait que la lecture stimule les compétences cognitives. As-tu déjà remarqué comment le reste du monde semble disparaître lorsque tu es absorbé par l’histoire que tu es en train de lire ? Cela vient de ce que ton cerveau travaille activement quand tu lis : tu dois mémoriser les différents personnages, le contexte dans lequel ils évoluent, leurs objectifs et de nombreux détails concernant leur personnalité et leur comportement. De plus, il te faut souvent lire entre les lignes pour comprendre de quoi parle le livre. Pour réussir toutes ces tâches, tu fais appel à tes connaissances générales et à tes fonctions exécutives. Sans connaissances générales, tu ne comprendrais pas les mots utilisés et sans tes fonctions exécutives, tu n’arriverais pas à recréer une histoire complète dans ton esprit. Des recherches ont montré que plus un enfant lisait, plus il améliorait toutes ces compétences. Enfin, en plus d’améliorer ta mémoire et tes capacités de compréhension, la lecture peut t’amener à adopter la perspective de différents personnages et à sympathiser avec eux, ce qui est également une compétence importante dans la vie réelle [6].
Conclusion
S’il est avéré que le cerveau en développement est particulièrement adaptable et que l’on peut améliorer ses performances, l’hypothèse selon laquelle l’entraînement cérébral y contribuerait reste, au mieux, controversée. Les futurs programmes d’entraînement cérébral engloberont certainement de nombreuses activités intégrées dans des situations de la vie réelle. Mais il ne faut pas les attendre passivement ! Si tu veux faire quelque chose dès aujourd’hui pour optimiser ton fonctionnement cérébral, la recette est : rester actif, avoir une alimentation saine, dormir suffisamment et continuer à apprendre de nouvelles choses en lisant beaucoup. Félicitations – c’est exactement ce que tu es en train de faire !
Glossaire
Fonctions Exécutives: ↑ Ce sont des compétences cérébrales essentielles pour la réflexion et la maîtrise de soi. Elles sont donc aussi appelées « contrôle cognitif » par certains chercheurs.
Mémoire de Travail (Working Memory): ↑ Elle désigne la capacité de garder les informations à l’esprit sur une courte période afin de pouvoir les utiliser.
Inhibition: ↑ C’est le fait de pouvoir résister aux distractions ou aux tentations.
Flexibilité Cognitive: ↑ Elle renvoie à la capacité de passer d’une tâche à une autre.
Transfert: ↑ Le transfert consiste en l’utilisation de compétences acquises dans une situation donnée pour améliorer ses performances dans une autre situation.
Conflit d’intérêts
Les auteurs déclarent que les travaux de recherche ont été menés en l’absence de toute relation commerciale ou financière pouvant être interprétée comme un potentiel conflit d’intérêts.
Remerciements
Cette étude a été soutenue par la Fondation Jacobs (DJ). Les auteurs remercient infiniment tous ceux qui ont contribué à la traduction des articles de cette collection afin de les rendre accessibles et compréhensibles aux enfants des pays non anglo-saxons, ainsi qu’à la Fondation Jacobs pour avoir octroyé les fonds nécessaires pour cette traduction.
Déclaration d’utilisation des outils d’IA
Tout texte alternatif fourni avec les figures de cet article a été généré par Frontiers grâce à l’intelligence artificielle. Des efforts raisonnables ont été déployés pour garantir son exactitude, notamment par une relecture par les auteurs lorsque cela était possible. Si vous constatez des problémes, veuillez nous contacter.
Références
[1] ↑ Stiles, J. 2008. The Fundamentals of Brain Development: Integrating Nature and Nurture. Cambridge, MA: Harvard University Press.
[2] ↑ Diamond, A. 2013. Executive functions. Annu. Rev. Psychol. 64:135–68. doi: 10.1146/annurev-psych-113011-143750
[3] ↑ Jolles, D., and Crone, E. A. 2012. Training the developing brain: a neurocognitive perspective. Front. Hum. Neurosci. (2012) 6:76. doi: 10.3389/fnhum.2012.00076
[4] ↑ Simons, D. J., Boot, W. R., Charness, N., Gathercole, S. E., Chabris, C. F., Hambrick, D. Z., et al. 2016. Do “brain-training” programs work? Psychol. Sci. Public Interest 17:103–86. doi: 10.1177/1529100616661983
[5] ↑ Cain, K., and Oakhill, J. 2011. Matthew effects in young readers: reading comprehension and reading experience aid vocabulary development. J. Learn. Disabil. 44:431–43. doi: 10.1177/0022219411410042
[6] ↑ Kidd, D. C., and Castano, E. 2013. Reading literacy fiction improves theory of mind. Science 342:377–80. doi: 10.1126/science.1239918