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Concept de base Santé humaine Publié le 28 décembre 2023

Quand et comment remplacer les tests sur des animaux ?

Résumé

Doit-on faire souffrir des animaux pour la science et le développement de produits ? C’est un débat important dans notre société. Je présente dans cet article quatre exemples de tests sur les animaux qui ont été introduits pour protéger les patients et les consommateurs, et j’explore la possibilité de les remplacer par d’autres méthodes. Quand, il y a plus de 100 ans, on a commencé à utiliser de petits animaux tels que des souris pour des expériences, il n’y avait pas beaucoup d’alternatives. Aujourd’hui, nous en savons plus et avons d’autres options. Les scientifiques peuvent maintenant créer de minuscules organes fonctionnels dans un laboratoire et même les combiner entre eux pour mieux comprendre comment fonctionne le corps, qu’il soit en bonne santé ou malade. Grâce à ces nouvelles connaissances, les scientifiques peuvent arrêter d’utiliser des animaux dans de nombreux cas et améliorer ainsi la précision scientifique et le bien-être animal.

Grâce au Centre de compétence suisse 3R (3RCC), cet article est également disponible en anglais, allemand et italien

Expérimentation animale : une pratique controversée

Faut-il faire souffrir ses animaux de laboratoire au nom de la science et du développement de produits tels que les cosmétiques, les médicaments et les pesticides ? C’est un sujet vivement débattu. Environ la moitié des Américains et 60 % des Européens s’opposent aux tests sur les animaux, mais les opinions varient sur ce qui devrait être autorisé et ce qui ne devrait pas l’être. Il y a plus de 60 ans, deux scientifiques, William Russell et Rex Burch, ont formulé la règle des 3R (réduction, remplacement, raffinement), qui vise un compromis. Au lieu d’interdire complètement la recherche sur les animaux ou de l’autoriser dans tous les cas, ils ont appelé à faire le maximum pour la remplacer. Lorsque c’est impossible, les scientifiques sont encouragés à réduire le nombre d’animaux utilisés et à raffiner les expériences afin de minimiser la souffrance animale. Les deux scientifiques considéraient que le raffinement n’était jamais suffisant, et que nous devions toujours chercher à réduire et, si possible, à remplacer cette pratique.

Lorsque William Russell et Rex Burch ont inventé la régle des 3R, il n’y avait pas beaucoup d’alternatives à l’expérimentation sur les animaux. Mais les sciences de la vie évoluent, l’étendue de nos connaissances sur le sujet double tous les sept ans, et nous en savons maintenant plus de mille fois plus de choses qu’avant ! Les scientifiques ont beaucoup appris sur la culture de cellules en laboratoire et, en utilisant les technologies des cellules souches humaines et le génie biologique, peuvent maintenant recréer la structure et la fonction de certains organes et même combiner plusieurs organes artificiels pour fabriquer un système « humain ». Comprendre comment fonctionne le corps, qu’il soit malade ou en bonne santé, aide les chercheurs à créer des tests plus précis que les tests sur les animaux et ainsi épargner des vies animales.

Pourquoi les tests sur des animaux existent

Dans le passé, les tests sur des animaux ont été mis en place pour résoudre des problèmes liés à la sécurité médicale. Nous verrons plus bas quatre cas historiques qui ont façonné la manière dont nous assurons la sécurité des médicaments et des produits de consommation. Ces exemples peuvent nous aider à comprendre les progrès réalisés grâce aux nouvelles technologies.

Pyrogénicité

Le terme « pyrogène » vient du grec et signifie « quelque chose qui génère du feu ». Aujourd’hui, nous l’utilisons pour désigner quelque chose qui provoque de la fièvre. Au début des années 1900, les scientifiques ont commencé à synthétiser des médicaments qui soignent des maladies, dont certains devaient être injectés dans le corps. Les patients avaient souvent de la fièvre après ces injections et parfois des réactions plus graves qui mettaient leur vie en danger. Les substances inconnues à l’origine de ces fièvres ont été nommées « pyrogènes ». En 1912, un test des pyrogènes sur les lapins a été introduit, qui consistait à injecter un lapin avec une dose du médicament dix fois plus élevée que celle qui aurait été utilisée chez l’humain. Si les lapins ne développaient pas de fièvre, le médicament était jugé sans danger pour l’usage humain. Aujourd’hui, nous savons que ces pyrogènes proviennent d’une contamination bactérienne lors de la production de médicaments, et même la stérilisation (un procédé destiné à éliminer les microbes) ne résout pas le problème. Lorsque le système immunitaire du patient détecte les pyrogènes bactériens, la fièvre apparaît.

Irritation oculaire

Les yeux sont particulièrement sensibles aux produits chimiques. Au début des années 1930 aux États-Unis, un produit cosmétique utilisé pour teindre les cils (appelé Lash Lure) a irrité les yeux de plus de 3 000 personnes, cinq personnes ont perdu la vue et une est même décédée. On a par la suite testé des produits similaires sur les yeux des lapins pour éviter que cela ne se reproduise. Le teste consiste à mettre une goutte du produit chimique directement dans l’œil d’un lapin et à observer l’animal durant plusieurs jours.

Toxicités inattendues

En 1936, plus de 100 enfants sont décédés aux États-Unis à cause d’un sirop contre la toux (Figure 1). L’antibiotique contenu dans le sirop avait été utilisé pendant des années sans problèmes, mais une substance appelée « glycol », utilisée pour dissoudre l’antibiotique, était toxique. Cela a donné lieu à des tests à doses répétées : en fonction de comment le médicament sera utilisé par la suite, il est administré pendant 28 ou même 90 jours par voie orale, par inhalation ou sur la peau, habituellement à des rats ou des chiens. Ensuite, les animaux sont mis à mort et tous leurs organes sont examinés pour détecter d’éventuels effets.

Figure 1 - Les polémiques liées à des effets nocifs de certains médicaments ont mené à l’introduction de tests sur les animaux.
  • Figure 1 - Les polémiques liées à des effets nocifs de certains médicaments ont mené à l’introduction de tests sur les animaux.
  • Les tests à doses répétées pour repérer les toxicités inattendues les tests d’embryotoxicité introduits à la suite de réactions négatives au Thalidomide en sont des exemples. Pour voir les figures en français, télécharge la version PDF de cet article.

Test d’embryotoxicité

À la fin des années 1950, une société pharmaceutique allemande a introduit un médicament appelé « Thalidomide », qui est devenu très populaire contre les nausées matinales fréquemment éprouvées par les femmes enceintes. Environ 2 000 fœtus sont morts à cause de ce médicament et plus de 10 000 enfants sont nés avec des malformations de leurs membres (Figure 1). Pour prévenir ce genre de cas, des tests de toxicité sur des embryons, appelés « tests d’embryotoxicité », ont été développés et ont nécessité 3 200 rats et 2 100 lapins par médicament.

Dans tous ces cas, la solution scientifique consistait à utiliser un petit animal pour s’assurer que les médicaments et les autres produits chimiques étaient sans danger pour les humains. Mais utiliser des animaux pour prédire ce qui pourrait se passer chez les humains est loin d’être un procédé fiable. Parfois, les réactions des animaux sont similaires à celles des humains, et parfois elles sont très différentes. Même entre des espèces plus proches comme des souris et des rats, les réactions ne sont semblables que dans 60% des cas, et différentes souches de la même espèce peuvent réagir au même médicament de manière très différente.

Remplacer les tests sur les animaux : l’exemple des pyrogènes

Les scientifiques ont découvert que les contaminations bactériennes des médicaments provoquaient la fièvre dans les années 1950 (Figure 2). Dix ans plus tard, ils ont découvert que les mêmes substances bactériennes faisaient coaguler le sang des limules. Cela a inspiré la mise au point d’un nouveau test basé sur l’échantillionage du sang des limules (test de pyrogènes sur limule), qui a remplacé 90 % des tests sur les lapins à partir des années 1980. Puis, en 1995, un autre test a été mis au point grâce aux avancées dans l’étude du système immunitaire humain, plus précisément des globules blancs appelés « monocytes », qui produisent les signaux chimiques responsables de la fièvre. Ces tests sont maintenant appelés « test d’activation des monocytes ». En fonction de la réaction des monocytes, ces tests permettent de déterminer si des substances sont contaminées par des pyrogènes. L’auteur de cet article a mis au point l’un de ces tests et a dirigé une étude internationale avec d’autres scientifiques qui avaient mis au point des tests similaires. Ensemble, ils ont démontré qu’ils pouvaient remplacer les tests effectués sur les animaux par des tests d’activation des monocytes [1, 2]. À la suite d’un examen approfondi par des experts, ces tests ont été validés en 2006 et reconnus par un certain nombre d’organisations à travers le monde au cours des années suivantes. Toutefois, ils n’ont pas encore remplacé tous les tests sur des animaux. En 2017, 80 % des tests des pyrogènes sur les lapins avaient été remplacés en Europe, et d’ici à 2030, tous les tests sur les lapins en Europe devraient cesser. D’autres régions du monde n’y sont pas encore. Il aura donc fallu environ 30 ans pour que le test sur la limule remplace environ 90 % des tests sur les lapins, et encore 30 ans pour que les tests d’activation des monocytes remplacent les 10 % restants. C’est trop lent, mais nous apprenons de ces précurseurs ! Une fois que les scientifiques auront compris ce qui se passe dans le corps humain, ils seront en mesure d’utiliser des tests qui ne n’impliquent pas d’animaux.

Figure 2 - Remplacement des tests sur les animaux : l’exemple des pyrogènes. Pour voir les figures en français, télécharge la version PDF de cet article.
  • Figure 2 - Remplacement des tests sur les animaux : l’exemple des pyrogènes. Pour voir les figures en français, télécharge la version PDF de cet article.

Progrès dans d’autres domaines

Les tests d’irritation oculaire ont connu d’énormes progrès (Figure 3A). Un certain nombre de nouveaux tests utilisent des cultures cellulaires simples de cellules de la peau, d’autres des yeux de poulets ou de vaches déjà tués pour notre nourriture. Des structures oculaires humaines issues du génie biologique ont également été développées et validées. Malheureusement, aucun test ne peut encore à lui seul remplacer complètement les tests sur les lapins. Certains tests ne permettent d’identifier que des substances fortement toxiques, d’autres seulement celles qui n’ont aucun effet, et certains ne fonctionnent qu’avec certains types de produits chimiques. Mais une combinaison de nouveaux tests peut les remplacer pour la plupart des utilisations.

Figure 3 - Progrès dans d’autres domaines.
  • Figure 3 - Progrès dans d’autres domaines.
  • (A) Test d’irritation des yeux. (B) Test d’embryotoxicité. (C) Test de toxicité inattendue. Diverses avancées technologiques permettent de remplacer les essais sur les animaux, notamment la culture cellulaire, les produits d’abattoir, les organes issus de l’ingénierie biologique, la technologie des cellules souches, les combinaisons d’essais et les approches numériques. Pour voir les figures en français, télécharge la version PDF de cet article.

Le test d’embryotoxicité est le test sur les animaux le plus exigeant en ce qui concerne le nombre d’animaux nécessaire. Certains de ces tests exigent plus de 5 000 rats ainsi que des lapins et leurs embryons. Les progrès faits pour remplacer ces tests sont lents, principalement parce que le développement des embryons est extrêmement complexe et varie selon les espèces. Seuls trois parmi cinq produits chimiques testés chez une espèce donnent les mêmes résultats dans une autre espèce. Parmi les progrès majeurs réalisés ces dernières années, on compte le développement des cellules souches, qui permettent d’en apprendre davantage sur le développement précoce des embryons humains (Figure 3B). Les tests sur les cellules souches sont une autre avancée qui permettra de remplacer les tests sur les animaux.

Les toxicités inattendues restent un problème majeur. Comment se prévoir l’imprévu ? Il y a des centaines de tissus dans le corps humain, et chacun d’entre eux pourrait réagir à des produits chimiques ! Cependant, comme il devient de plus en plus évident que les animaux et les humains ne réagissent pas de la même façon aux substances toxiques, nous n’avons pas d’autre choix que de développer de nouveaux tests, pertinents pour les humains (Figure 3C). D’énormes progrès ont été réalisés avec la culture cellulaire moderne : le génie biologique permet de recréer en laboratoire la structure et la fonction des organes du corps. Ces organoïdes peuvent être assemblés sur des puces et reliés par de minuscules canaux remplis de liquide qui agissent comme des vaisseaux sanguins. Ces modèles humains sur puce sont passionnants parce qu’ils permettent d’étudier les réactions dans des systèmes identiques à ceux des humains. En même temps, l’intelligence artificielle (IA), qui utilise la capacité croissante des ordinateurs à apprendre et à analyser des données, permet de combiner les connaissances accumulées au cours des dernières décennies. Des millions d’articles scientifiques et de grandes quantités de données d’expériences peuvent être combinés par des systèmes d’IA pour prédire des effets inattendus de substances sur le corps humain et ainsi éviter les tests sur les animaux. L’augmentation de la puissance des ordinateurs permet de modéliser ce qui se passe dans le corps et de donner du sens à de grands ensembles de données pour prédire des effets toxiques.

Le défi à relever

Ces exemples illustrent que la science progresse continuellement. Bien que cet article porte sur l’innocuité des médicaments, on peut donner des exemples similaires dans d’autres domaines de recherche. De nouvelles méthodes informatiques et de laboratoire peuvent être utilisées seules, mais elles sont encore plus puissantes si elles sont combinées. Elles sont souvent aussi bonnes, voire meilleures, que les expériences traditionnelles faites sur les animaux. Le défi consiste maintenant à changer l’habitude de se fier aux tests sur les animaux pour les évaluations de la sécurité et pour la génération de nouveaux produits. Les avancées récentes ont permis de développer des tests plus pertinents pour le corps humain et, surtout, plus humains.

Lecture complémentaire

Goldberg, A., and Hartung, T. 2006. Protecting more than animals. Sci. Am. 294 :84–91. doi: 10.1038/scientificamerican0106-84

Hartung, T. 2018. “Alternatives to animal testing,” in Toxicology and Risk Assessment : A Comprehensive Introduction, 2nd edn, eds H. Greim, and R. Snyder (Hoboken, NJ : Wiley). p. 461–47.

Glossaire

Regle des 3R: Principes scientifiques qui remplacent, réduisent et raffinent le recours aux expériences sur les animaux et visent à leur offrir un traitement plus humain.

Génie biologique: Domaine de l’ingénierie, qui applique les sciences de la vie, les sciences physiques, les mathématiques et l’ingénierie pour résoudre des problèmes en biologie et en médecine.

Pyrogène: Un groupe de substances microbiennes détecté par le système immunitaire humain qui entraînent de la fièvre et de l’inflammation.

Tests à doses répétées: Tests qui consistent à donner un médicament à des animaux plusieurs fois sur une durée de 28 à 90 jours pour identifier des effets toxiques potentiels sur leurs organes.

Tests d’embryotoxicité: Tests conduits sur des animaux enceintes destinés à établir si l’usage du médicament donné serait dangereux pour l’embryon (humain).

Test de pyrogènes sur limule: Un test de pyrogènes basé sur le sang de petits crabes (limulus), qui coagule en réponse à un groupe important de pyrogènes.

Test d’activation des monocytes: Test de laboratoire qui mesure si des substances sont contaminées par des pyrogènes en se basant sur la réaction des monocytes (cellules du système immunitaire humain).

Organoïdes: Des cultures cellulaires qui reproduisent l’architecture et le fonctionnement des organes. Elles peuvent être bidimensionnelles, tridimensionnelles ou sur des puces. Plusieurs organoïdes peuvent être combinés pour créer des modèles humains sur puce.

Conflit d’intérêts

Les auteurs déclarent que la recherche a été menée en l’absence de toute relation commerciale ou financière qui pourrait être interprétée comme un conflit d’intérêts potentiel.


Références

[1] Hartung, T. 2015. The human whole blood pyrogen test - lessons learned in twenty years. ALTEX. 32:79–100. doi: 10.14573/altex.1503241

[2] Hartung, T. 2021. Pyrogen testing revisited on occasion of the 25th anniversary of the whole blood test. ALTEX. 38:3–19. doi: 10.14573/altex.2101051