Résumé
Certaines études scientifiques comprennent des expériences sur des animaux. Beaucoup d’entre eux sont des êtres sensibles : ils ont des émotions et des sensations probablement similaires aux émotions positives et négatives éprouvées par les êtres humains. Certaines expériences peuvent provoquer chez les animaux des sensations négatives comme la peur et la douleur. Alors que les animaux peuvent parfois être remplacés par d’autres méthodes ou être utilisés moins souvent, dans certains cas, il n’y a pas de moyen simple d’effectuer des expériences sans en utiliser. Dans ces cas, les scientifiques peuvent protéger les animaux en utilisant le raffinement. Cette méthode vise à développer les procédures scientifiques afin d’améliorer les conditions de vie et le bien-être des animaux, d’atténuer ou d’éviter de leur faire éprouver des sensations négatives ou de la douleur. Par exemple, les scientifiques travaillent dur pour mettre en place des méthodes pour administrer des médicaments à des souris sans recourir à la force, ou pour les manipuler sans les stresser.
Grâce au Centre de compétence suisse 3R (3RCC), cet article est également disponible en anglais, allemand et italien
Les expériences sur les animaux et la règle des 3R
On utilise les animaux dans la recherche pour différentes raisons. Par exemple, pour mettre au point de nouveaux médicaments ou pour tester la sécurité et l’efficacité de médicaments potentiels avant qu’ils ne soient testés sur des humains. Les animaux sont également utilisés pour vérifier la sécurité de produits chimiques que nous utilisons au quotidien, comme les produits de nettoyage. On les utilise également pour mieux comprendre les maladies qui affectent les humains et les animaux. De nombreuses maladies impliquent des processus qui ne peuvent être étudiés que sur des organismes vivants, et non sur des cellules cultivées en laboratoire. Par exemple, seules les études sur des animaux peuvent aider à comprendre les maladies du cerveau. Plusieurs espèces animales sont biologiquement similaires aux humains et souffrent des mêmes maladies. Il est aussi plus facile de réaliser des expériences sur des animaux que sur des humains, pour deux raisons principales. Premièrement, les scientifiques peuvent contrôler l’environnement dans lequel vivent les animaux de laboratoire, ce qu’ils mangent ou comment ils sont logés. C’est impossible avec les humains. Deuxièmement, la recherche sur les humains pourrait mettre leur santé en danger, ce qui serait contraire à l’éthique.
L’utilisation d’animaux dans la recherche inquiète beaucoup de personnes, qui aimeraient qu’elle soit remplacée par des méthodes alternatives. Pour protéger les animaux autant que possible et éviter ou réduire leur utilisation, les scientifiques appliquent la règle des 3R. La règle des 3R a été formulée par deux scientifiques, William Russell et Rex Burch, en 1959. Leur but était de rendre la recherche sur les animaux moins nocive pour ces derniers. Le premier « r » est le remplacement, qui consiste à éviter complètement l’utilisation d’animaux, par exemple en recourant aux ordinateurs pour simuler ce qui se passe dans un cerveau humain ou animal. Le principe de réduction a pour but d’utiliser un nombre plus petit d’animaux. Les méthodes modernes permettent de collecter un maximum d’informations à partir d’un animal donné, ce qui permet de réduire le nombre d’animaux nécessaires. Le troisième « r » est le raffinement, qui décrit les changements dans la façon dont les scientifiques logent et traitent les animaux de laboratoire pour réduire leur souffrance et améliorer leur bien-être.
Même si le remplacement est le principe le plus important, pour certaines expériences, il est impossible d’utiliser des méthodes alternatives comme des simulations informatiques ou des cellules cultivées en laboratoire. Malgré les efforts déployés pour remplacer l’expérimentation animale, environ 12 millions d’animaux sont encore utilisés chaque année en Europe pour des expériences scientifiques [1]. Pour cette raison, le raffinement est lui aussi un principe important à implémenter. Dans la plupart des pays, le bien-être animal est protégé par des lois qui interdisent tout traitement cruel, c’est-à-dire tout traitement qui fait souffrir les animaux inutilement, et qui prescrivent la manière dont les animaux doivent être logés et soignés. Par exemple, elles définissent l’espace minimal qu’un animal de laboratoire doit avoir dans son étable ou sa cage. Le principe de raffinement va toutefois au-delà des conditions établies par les lois sur le bien-être animal. Il s’efforce de réduire autant que possible les impacts négatifs sur les animaux de laboratoire et d’améliorer leurs conditions de vie continuellement et à long terme.
Les animaux sensibles peuvent ressentir des émotions négatives
Pourquoi est-il important que les animaux de laboratoire soient bien traités et que leurs conditions de vie soient bonnes ? Certains animaux, y compris ceux utilisés en science, sont sensibles. Ces animaux ont probablement des émotions positives et négatives similaires à celles des êtres humains. Certaines expériences peuvent provoquer chez eux des émotions négatives comme la peur ou la douleur. Lorsque des animaux sensibles – dont les humains font partie – ressentent des émotions négatives très fortes ou même des émotions négatives modérées pendant une longue période, ils peuvent souffrir.
Quels animaux sont sensibles et peuvent donc ressentir la souffrance ? Il n’est pas facile de répondre à cette question, et les avis sur le sujet divergent. Dans les années à venir, la recherche sur la sensibilité des animaux pourrait nous faire changer d’avis, mais actuellement tous les vertébrés – les animaux ayant une colonne vertébrale – sont considérés comme sensibles. Ce groupe comprend les mammifères, les oiseaux, les poissons, les reptiles et les amphibiens. Les invertébrés quant à eux – les animaux n’ayant pas de colonne vertébrale, comme les insectes et les vers – ne sont pas considérés capables de ressentir des émotions positives ou négatives de la même manière que les humains et les vertébrés [2]. Par conséquent, à ce stade, la majorité des invertébrés n’est pas considérées comme sensible par la plupart des scientifiques (Figure 1). Cependant, certains invertébrés, comme le homard et la pieuvre, réagissent de la même façon que les vertébrés dans des situations douloureuses. C’est pourquoi, certains scientifiques considèrent ces animaux comme étant sensibles et demandent leur protection stricte. Les lois suisses sur le bien-être animal, par exemple, protègent les pieuvres.
Améliorer la vie des souris de laboratoire
Pour décrire comment les efforts de raffinement peuvent améliorer le bien-être des animaux, nous allons nous concentrer sur les souris, puisque c’est l’animal le plus utilisé dans la recherche à travers le monde. Selon les pays, les souris représentent de 50 à 75 % de tous les animaux utilisés dans la recherche, essentiellement parce qu’elles se reproduisent rapidement et peuvent facilement vivre en laboratoire. Les souris sont de tout petits mammifères qui ont beaucoup en commun avec les humains, notamment une grande partie de leur information génétique et de nombreux processus physiologiques. L’information génétique des souris est également facile à modifier, elles conviennent donc pour de nombreuses expériences. La recherche sur des souris ayant subi une modification génétique permet d’imiter et d’étudier les maladies humaines et de trouver de nouveaux médicaments pour les traiter.
Le bien-être des souris est important car ce sont des animaux sensibles et sociaux. Savais-tu par exemple que les souris mâles chantent des sérénades aux souris femelles à des fréquences que les humains ne peuvent pas entendre [3] ? Ou que les souris savent quand une autre souris se sent mal et changent leur comportement en conséquence ? Par exemple, elles ont des réactions plus intenses quand une autre souris éprouve de la douleur [4]. Chez les humains, ça s’appelle l’empathie, la capacité de comprendre ou de ressentir ce que les autres ressentent.
Les souris ont besoin de certaines conditions pour vivre heureuses et en bonne santé. Pour créer de bonnes conditions, il faut qu’elles soient soignées par des humains qui comprennent leurs besoins. On doit leur donner du matériel pour construire des nids douillets et chauds et les laisser vivre en groupe avec d’autres souris. Il existe également de nombreuses façons d’améliorer les expériences pour réduire les émotions négatives des souris, comme la peur ou la douleur. On peut par exemple les habituer à la présence humaine avant le début des expériences ou leur donner des anti-douleurs quand on doit leur faire subir des expériences douloureuses.
Aider les souris à avaler la pilule
Quand il faut faire prendre des médicaments aux souris, par exemple pour prouver qu’un nouveau médicament permet de traiter une maladie, il faut les leur faire avaler. Ce n’est pas toujours facile, surtout si le médicament a un goût amer. Pour contourner ce problème, les scientifiques délivrent parfois les médicaments directement dans l’estomac des souris en insérant un tube dans leur bouche. C’est une procédure désagréable, et même si elle est autorisée par la loi quand elle est scientifiquement nécessaire, le principe de raffinement veut que l’administration de médicaments soit plus agréable pour les souris. Des scientifiques de l’Université de Zürich, en Suisse [5], ont trouvé une solution simple. Ils savent que les souris aiment la nourriture grasse et sucrée et mélangent le médicament avec une substance savoureuse comme le lait concentré sucré. Ils mettent la friandise médicamentée dans une pipette (un outil qui sert à mesurer de petites quantités), et les souris vont la lécher avec plaisir. (Figure 2).
Les médicaments peuvent aussi être mélangés à du Nutella, du beurre de cacahuète ou de la confiture de framboise. Cela permet d’éviter des expériences désagréables aux souris et rendre la tâche des scientifiques plus facile : puisque les souris sont gourmandes, les scientifiques peuvent s’assurer qu’elles consomment la dose complète du médicament étudié.
Des tunnels en plastique pour des deplacement plus agreables
Pendant de nombreuses années, les scientifiques prenaient les souris de laboratoire par la queue pour les déplacer d’un endroit à un autre (Figure 3A). C’était un moyen facile de les attraper sans se faire mordre, mais potentiellement désagréable pour elles. Dans la nature, les souris vivent dans des terriers avec des tunnels. Jane Hurst, une chercheuse de Liverpool, en Angleterre, a essayé de les transporter dans des tunnels, et a trouvé que les souris le préféraient ! Celles transportées dans des tunnels sont plus dociles et plus détendues que celles attrapées par la queue [6]. Les transporter de cette façon facilite le travail des scientifiques et améliore le bien-être des souris. De plus en plus de scientifiques entraînent leurs souris à entrer dans de petits tunnels en plastique qu’ils utilisent ensuite pour les transporter (Figure 3B).
Perspectives
Dans la plupart des pays, ces techniques de raffinement et bien d’autres ne sont pas encore requises par la loi, et les scientifiques ne sont pas obligés de les utiliser, mais elles deviennent de plus en plus répandues. C’est une tendance importante, car ces techniques contribuent à réduire la souffrance des animaux et à améliorer leur bien-être quand il est impossible de remplacer complètement les animaux dans la recherche.
Partout dans le monde, des scientifiques tentent de convaincre leurs collègues de mettre en œuvre plus de raffinement dans leurs expériences sur les animaux. Et toi, comment penses-tu qu’on pourrait rendre les animaux de laboratoire plus heureux et réduire leur souffrance ? Et comment pourrait-on convaincre d’autres personnes à chercher à faire pareil ?
Glossaire
Organisme: ↑ Être vivant constitué d’une ou plusieurs cellules, comme un être humain, un poisson ou une souris.
Contraire à l’éthique: ↑ Actions ou comportements qui ne suivent pas les règles communément admises dans la société.
Regle des 3R: ↑ Règle formulée par deux scientifiques en 1959 pour rendre la recherche sur les animaux plus humaine. La règle comprend trois principes : le remplacement, la réduction et le raffinement.
Remplacement: ↑ Application de méthodes permettant d’éviter l’utilisation d’animaux en les remplaçant par d’autres méthodes.
Réduction: ↑ Application de méthodes visant à réduire au minimum le nombre d’animaux utilisés pour la recherche.
Raffinement: ↑ Application de méthodes pour réduire au minimum la souffrance des animaux utilisés pour la recherche et améliorer leur bien-être.
Sensible: ↑ Être sensible, c’est être capable de ressentir des émotions positives et négatives.
Modification génétique: ↑ Modification des caractéristiques d’un organisme par la modification de son ADN. L’ADN est le matériau qui transporte toutes les informations sur l’apparence et le fonctionnement d’un organisme.
Fréquences: ↑ ici, la fréquence audio. La fréquence est le nombre d’ondes sonores produites par l’animal en une seconde.
Conflit d’intérêts
Les auteurs déclarent que les travaux de recherche ont été menés en l’absence de toute relation commerciale ou financière pouvant être interprétée comme un potentiel conflit d’intérêts.
Références
[1] ↑ European Comission. 2021. Summary Report on the statistics on the use of animals for scientific purposes in the Member States of the European Union and Norway in 2018.
[2] ↑ Sneddon, L. U., Elwood, R. W., Adamo, S. A., and Leach, M. C. 2014. Defining and assessing animal pain. Anim. Behav. 97:201–12. doi: 10.1016/j.anbehav.2014.09.007
[3] ↑ Hammerschmidt, K., Radyushkin, K., Ehrenreich, H., and Fischer, J. 2009. Female mice respond to male ultrasonic ‘songs’ with approach behaviour. Biology letters. 5:589–92. doi: 10.1098/rsbl.2009.0317
[4] ↑ Langford, D. J., Crager, S. E., Shehzad, Z., Smith, S. B., Sotocinal, S. G., Levenstadt, J. S., et al. 2006. Social modulation of pain as evidence for empathy in mice. Science 312:1967–70. doi: 10.1126/science.1128322
[5] ↑ Scarborough, J., Mueller, F., Arban, R., Dorner-Ciossek, C., Weber-Stadlbauer, U., Rosenbrock, H., et al. 2020. Preclinical validation of the micropipette-guided drug administration (MDA) method in the maternal immune activation model of neurodevelopmental disorders. Brain Behav. Immunity 88:461–70. doi: 10.1016/j.bbi.2020.04.015
[6] ↑ Hurst, J. L., and West, R. S. 2010. Taming anxiety in laboratory mice. Nat. Methods 7:825–6. doi: 10.1038/nmeth.1500