Nouvelle découverte Biodiversité Publié le 31 décembre 2024

Poisson qui chante ou poisson qui danse : comment les gobies mâles attirent l’attention des femelles dans des environnements bruyants

Résumé

Comme les êtres humains, les animaux utilisent des signaux pour communiquer entre eux. De nombreux oiseaux mâles, par exemple, chantent et dansent pour attirer les femelles. Mais ce que tu ne sais peut-être pas, c’est que de nombreux poissons le font aussi quand ils se battent ou qu’ils s’accouplent. Malheureusement, l’activité humaine dans l’océan – le trafic maritime, les parcs éoliens et les plates-formes pétrolières – provoque beaucoup de bruit, ce qui peut perturber la communication des animaux marins. Nous avons étudié l’effet du bruit chez une espèce de petit poisson marin, le gobie varié. Les gobies mâles construisent des nids sous une coquille ou une petite pierre plate, puis chantent et dansent pour attirer des femelles et leur faire pondre leurs œufs dans ce nid. Les femelles choisissent les mâles principalement en fonction de leur chant, mais s’il y a du bruit, elles accordent plus d’attention aux mouvements de danse du mâle pour le choisir ou non comme partenaire.

Comment les animaux communiquent-ils dans un environnement bruyant?

Les animaux utilisent des signaux pour communiquer entre eux. Cette communication (l’envoi et la réception de signaux) peut être perturbée par leur environnement. Dans ce cas, il est possible que le destinataire ne comprenne pas le message ou tout simplement qu’il ne le reçoive pas. C’est comme si tu criais pour attirer l’attention d’un ami de l’autre côté de la rue à l’heure de pointe, quand la circulation est bruyante et qu’elle couvre ta voix : ton ami ne t’entendrait probablement pas.

Entre le trafic maritime et les grandes installations industrielles comme les parcs éoliens et les plateformes pétrolières, les humains font beaucoup de bruit dans l’océan. Ce bruit peut perturber la communication des animaux marins. Cela peut changer toute leur vie, car la communication leur est essentielle. Par exemple, certaines grenouilles femelles ne distinguent plus les coassements qu’émettent les mâles quand le bruit du trafic routier devient trop fort. Elles n’arrivent donc parfois plus à trouver de partenaires du tout, ou ne parviennent pas à distinguer entre différents types de mâles.

Pour contourner ces perturbations, beaucoup d’animaux utilisent plusieurs sortes de signaux. Toi, tu crierais plus fort ou ferais de grands gestes avec les bras pour attirer l’attention de l’ami qui ne t’aurait pas entendu à cause du bruit de la circulation. De nombreux animaux, eux, chantent plus fort ou plus longtemps ou utilisent des mouvements de leur corps pour attirer l’attention d’un individu avec lequel ils souhaitent communiquer. Cependant, l’envoyeur ne peut jamais savoir si le receveur prête suffisamment attention pour repérer le signal, tout comme toi, tu ne peux pas savoir si ton ami te cherche du regard ou tend seulement l’oreille.

Muet comme une carpe ?

Même s’ils ne parlent pas comme nous, de nombreux poissons écoutent leur environnement et produisent des sons pour communiquer. Ils utilisent des sons différents pour dire à leurs rivaux à quel point ils sont forts, pour communiquer avec les autres membres du banc de poissons ou pour informer de potentiels partenaires qu’ils souhaitent s’accoupler.

Malheureusement, une bonne partie des bruits provenant de l’activité humaine ont des fréquences similaires à celles des chants des poissons. Pour étudier comment le bruit que les humains génèrent influence les poissons, nous avons choisi un petit poisson qui émet des sons, le gobie varié (Pomatoschistus pictus). Les gobies mâles chantent et dansent pour attirer les femelles dans leur nid et, en général, les femelles font plus attention au chant qu’à la danse du mâle quand elles choisissent leur partenaire [1]. Pour les femelles, il est particulièrement important de choisir un mâle sain et fort. Ses bébés seront plus forts et plus sains, et le mâle sera probablement un bon papa, qui s’occupera bien des petits. Au vu de l’importance de ce choix, nous avons observé le comportement des femelles dans un environnement bruyant. Nous voulions savoir si les femelles se rabattent sur les mouvements de danse des mâles pour les choisir quand elles ont de la peine à les entendre, ou si elles continuent à chercher d’autres mâles dont elles entendraient mieux le chant.

Comment avons-nous étudié l’effet du bruit sur la communication des gobies ?

Pour étudier le comportement d’accouplement des gobies, nous avons réalisé des expériences dans des aquariums (Figure 1). Chaque aquarium contenait un gobie mâle et deux femelles. Les gobies utilisent deux modes de communication : un mode sonore avec deux types de sons et un mode visuel (corporel) avec des mouvements divers – ils sautent, sautillent, se secouent ou s’approchent d’autres poissons [2].

Figure 1 - Dispositif expérimental visant à étudier les effets du bruit sur la communication des poissons.
  • Figure 1 - Dispositif expérimental visant à étudier les effets du bruit sur la communication des poissons.
  • Une source sonore (Noise egg) est placée derrière le mâle installé dans son nid (Male in nest) – un tube en plastique. La plupart des mâles recouvrent leur nid de sable (sand). L’hydrophone est placé dans une cheminée spécialement fabriquée au sommet du nid, pour enregistrer les sons émis par le mâle à l’intérieur du nid. Deux femelles se déplacent librement dans l’aquarium (adapté de l’article source).

Dans 16 cas, les aquariums étaient silencieux ; dans 20 autres cas nous avons fait du bruit à l’aide d’une source sonore [3]. Des études antérieures avaient montré que le bruit artificiel émis par cette source sonore reproduisait bien celui généré par les activités humaines dans l’océan [3]. Nous avons observé les parades nuptiales sonores et corporelles des mâles ainsi que les réactions des femelles. Finalement, nous avons observé si un accouplement avait lieu ou non.

Dans chaque aquarium, le gobie mâle a construit un nid en utilisant un tube en plastique mis à sa disposition et en le recouvrant de sable (Figure 1). Il gardait ensuite le nid et tentait d’y attirer les femelles. À l’aide d’une caméra et d’un micro étanche (un hydrophone), nous avons enregistré les mouvements de danse et les sons émis par les gobies mâles. Nous avons ensuite analysé si ces mouvements et ces sons étaient influencés par la taille et la condition corporelle (poids pour une taille donnée) du poisson mâle. Enfin, nous avons étudié le choix fait par les femelles de s’accoupler en comparant les aquariums silencieux et les aquariums bruyants, pour savoir quel signal (sonore ou corporel) était le plus important pour elles.

Le bruit influence la façon dont les poissons se font la cour et choisissent leur partenaire

Dans les aquariums bruyants, les gobies mâles communiquaient moins, que ce soit de manière sonore ou de manière corporelle [4].

Dans les aquariums silencieux comme dans les aquariums bruyants, les mâles qui chantaient davantage avaient plus de chances qu’une femelle vienne pondre ses œufs dans leur nid. Il semblerait donc que la danse des mâles n’est pas le signe le plus important pour le choix des femelles.

En revanche, dans les aquariums bruyants, la danse des mâles devenait importante. Dans ceux-là, même les mâles qui chantaient peu avaient de bonnes chances de s’accoupler à condition de beaucoup danser ! On peut en conclure que les deux types de signaux – sonore et corporel – ont de l’importance, mais les gobies femelles prêtent plus d’attention aux signaux corporels de parade nuptiale quand la communication sonore est perturbée par le bruit ambiant.

Nous avons aussi observé que les mâles en meilleure condition, c’est-à-dire avec plus de réserves et qui produisaient plus de sons et de signaux corporels, avaient plus de chances de s’accoupler que les mâles plus maigres et produisant moins de signaux.

Nous avons ainsi mis en relation les caractéristiques du mâle (y compris son comportement) et ses chances de s’accoupler selon son environnement, silencieux ou bruyant (Figure 2).

Figure 2 - Relations entre les caractéristiques des mâles (taille et condition), la parade nuptiale (chant et mouvements de danse) et la probabilité d’accouplement.
  • Figure 2 - Relations entre les caractéristiques des mâles (taille et condition), la parade nuptiale (chant et mouvements de danse) et la probabilité d’accouplement.
  • Ces relations sont représentées par des flèches: les flèches vertes et épaisses indiquent des relations positives démontrées par notre travail, les flèches grises et fines indiquent des relations possibles mais non démontrées. Les comportements des mâles menant à l’accouplement dans les aquariums (A) silencieux et (B) bruyants sont illustrés par des dessins et des flèches vertes. Les dessins des poissons montrent un mâle dansant, un mâle chantant et une femelle prête à s’accoupler (adapté de l’article source).

C’est mieux de communiquer en utilisant plusieurs sortes de signaux!

Nous avons constaté que le bruit affecte la relation entre le comportement de parade nuptiale des mâles et les décisions d’accouplement des femelles. Dans les aquariums silencieux, les mâles qui chantaient davantage avaient plus de chances de s’accoupler ; en revanche, dans les aquariums bruyants, les mâles qui dansaient davantage parvenaient mieux à inciter les femelles à s’accoupler. Cela signifie que les gobies variés femelles accordent plus d’attention aux signaux de parade nuptiale visuels lorsque le bruit perturbe la communication acoustique.

Les informations recueillies lors de notre expérience indiquent que les poissons qui utilisent plusieurs sortes de signaux ont plus de chances de communiquer efficacement dans un environnement changeant. Communiquer par plusieurs moyens permet d’avoir des solutions de rechange et d’éviter la perte d’information. Si l’environnement perturbe un signal, l’autre devient plus important, que ce soit pour l’émetteur (dans notre cas, le mâle) ou le récepteur (la femelle) [5]. Dans des conditions bruyantes, on pourrait s’attendre à ce que les mâles passent du chant à la danse, puisque la danse devient plus importante pour communiquer avec les femelles. Pourtant, les mâles des bassins bruyants ne dansaient pas plus que les mâles des bassins silencieux. C’étaient dans les bassins bruyants que les femelles prêtaient le plus d’attention aux mouvements de danse des mâles. Un résultat similaire a été obtenu chez un autre poisson, l’épinoche à trois épines (Gasterosteus aculeatus). Les mâles de l’épinoche, eux, dansaient davantage en eaux troubles mais les femelles prêtaient plus attention à leur odeur qu’à leur parade nuptiale dans ces conditions [6].

Conclusion

Nous avons montré que le gobie mâle chante moins lorsque l’aquarium est bruyant et que, dans ces conditions, les femelles prêtent plus attention à leurs mouvements de danse ; ainsi, les mâles qui chantent peu, même dans un environnement silencieux, peuvent se reproduire efficacement dans un environnement bruyant s’ils dansent davantage. Lorsque des femelles choisissent des mâles silencieux pour s’accoupler, il est tout à fait possible qu’il y ait des mâles silencieux parmi leur progéniture et, avec le temps, si le monde sous-marin devient plus bruyant à cause des activités humaines, les gobies pourraient devenir muets comme des carpes après tout !

Contributions des auteurs

KJ et KH ont conçu les expériences, avec les conseils de MA and PF. KJ a réalisé les expériences et analysé les résultats. KJ et KH ont écrit l’article avec les commentaires et corrections de MA et PF.

Contributions à la version française

TRADUCTEUR : Catherine Braun-Breton (Association “Jeunes Francophones et la Science”)

ÉDITEUR : Mathieu Sicard (Association “Jeunes Francophones et la Science”)

MENTOR SCIENTIFIQUE : Ula Hibner (Association “Jeunes Francophones et la Science”)

JEUNE EXAMINATEUR :

Lycée Saint Joseph Pierre Rouge 15 ans. Nous sommes Enzo, Lyanna, Assia et Elena, en formation «Accompagnement Soin et Service à la Personne», dans la classe de Mme Barthélémy. Nous sommes des adolescents curieux et avons choisi cet article car le sujet nous concerne. Même si nous avons parfois du mal à nous concentrer, nous avons beaucoup apprécié ce travail sur l’article.

Glossaire

Accouplement: Acte conduisant à la production d’une progéniture. Chez les gobies variés, les femelles pondent des œufs dans un nid et les mâles fécondent ces œufs avec leur sperme, puis en prennent soin jusqu’à leur éclosion.

Parade nuptiale: Actes tels que des danses ou des chants qui visent à convaincre les animaux du sexe opposé de s’accoupler.

Condition corporelle: Rapport du poids d’un animal à sa taille. À poids égal, un petit animal aura une condition corporelle considérée comme meilleure qu’un animal plus grand que lui.

Conflit d’intérêts

Les auteurs déclarent que les travaux de recherche ont été menés en l’absence de toute relation commerciale ou financière pouvant être interprétée comme un potentiel conflit d’intérêts.

Remerciements

Nous tenons à remercier l’Université de Lisbonne pour la mise à disposition de l’espace de laboratoire. Nous remercions Maria Gouveia, Catarina Rosa et Joana Vicente pour leur aide dans la capture des gobies, leur élevage et la logistique. Nous tenons à remercier Adrian Klein pour avoir mis à notre disposition des capteurs de mouvement et pour son aide dans l’analyse des données PM. Nous remercions Kalle de Jong pour son aide dans la conception des figures et Liisa Ylitepsa pour les dessins originaux des gobies.


Article source

de Jong, K., Amorim, M. C. P., Fonseca, P. J., and Heubel, K. U. 2018. Noise affects multimodal communication during courtship in a marine fish. Front. Ecol. Evol. 6 :113. doi: 10.3389/fevo.2018.00113


Références

[1] Amorim, M. C. P., Pedroso, S. S., Bolgan, M., Jordão, J. M., Caiano, M., and Fonseca, P. J. 2013. Painted gobies sing their quality out loud: acoustic rather than visual signals advertise male quality and contribute to mating success. Funct. Ecol. 27:289–98. doi: 10.1111/1365-2435.12032

[2] Amorim, M., and Neves, A. 2007. Acoustic signaling during courtship in the painted goby, Pomatoschistus pictus. J. Mar. Biol. Assoc. U.K. 87:1017–23. doi: 10.1017/s0025315407056822

[3] de Jong, K., Schulte, G., and Heubel, K. U. 2017. The noise egg: a cheap and simple device to produce low-frequency underwater noise for laboratory and field experiments. Methods Ecol. Evol. 8:268–74. doi: 10.1111/2041-210X.12653

[4] de Jong, K., Amorim, M. C. P., Fonseca, P. J., Fox, C. J., and Heubel, K. U. 2018. Noise can affect acoustic communication and subsequent spawning success in fish. Environ. Pollut. 237:814–23. doi: 10.1016/j.envpol.2017.11.003

[5] Partan, S. R. 2017. Multimodal shifts in noise: switching channels to communicate through rapid environmental change. Anim. Behav. 124:325–37. doi: 10.1016/j.anbehav.2016.08.003

[6] Heuschele, J., Mannerla, M., Gienapp, P., and Candolin, U. 2009. Environment-dependent use of mate choice cues in sticklebacks. Behav. Ecol. 20:1223–7. doi: 10.1093/beheco/arp123